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pieds, ce lièvre encore tout chaud et tout sanglant : Tsong-Kaba ! Tsong-Kaba ! s'écria-t-il, en reculant d'horreur et en se voilant les yeux de ses deux mains. Après avoir lancé une malédiction contre le chasseur, il nous demanda si nous oserions manger de cette chair noire. — Pourquoi pas, lui répondîmes-nous, puisqu'elle ne peut nuire ni à notre corps ni à notre âme ? — Là dessus, nous posâmes quelques principes de morale, et il nous fut facile de démontrer à nos auditeurs, que la venaison n'était, en soi, d'aucun obstacle à l'acquisition de la sainteté. Le chasseur jubilait, en écoutant nos paroles ; le Lama, au contraire, était morfondu. Il se contenta de nous dire que, pour nous, puisque nous étions étrangers et de la religion de Jéhovah, il n'y avait aucun mal à manger des lièvres ; mais que, pour eux, ils devaient s'en abstenir, parce que s'ils manquaient à cette observance, et si le grand Lama venait à le savoir, ils seraient chassés impitoyablement de la lamaserie.

Notre thèse étant victorieusement prouvée, nous abordâmes aussitôt la proposition du chasseur, qui voulait, tous les jours, nous tuer autant de lièvres que nous voudrions. D'abord, nous lui demandâmes s'il parlait sérieusement. Sur sa réponse affirmative, nous lui dîmes que tous les matins, il pouvait nous apporter un lièvre ; mais que nous entendions le lui payer. — Ici, les lièvres ne se vendent pas. Puisqu'il vous répugne pourtant de les recevoir gratuitement, vous me donnerez, pour chacun, le prix d'une charge de fusil ... Nous voulûmes faire les généreux, et il fut convenu que toutes les fois qu'il nous apporterait sa pièce de venaison, nous lui compterions quarante sapèques, à peu près la valeur de quatre sous.