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tait parce que les bœufs se mutinaient, les vaches ne se laissaient pas traire avec patience, ou les jeunes veaux s'étaient échappés en folâtrant à travers la vallée. Notre arrivée au milieu d'eux leur avait fait trouver une certaine distraction à la monotonie de la vie pastorale. Ils venaient parfois nous visiter dans notre chambre, et passaient en revue les livres de notre petite bibliothèque de voyage, avec cette curiosité timide et respectueuse que les gens simples et illettrés témoignent toujours pour les œuvres de l'intelligence. S'il leur arrivait de nous trouver à écrire, ils oubliaient alors pendant longtemps et les troupeaux et les laitages ; ils passaient des heures entières, debout, immobiles, et les yeux fixés sur notre plume de corbeau, qui courait sur le papier, et laissait en courant des caractères dont la finesse et l'étrangeté les tenaient en extase.

La petite lamaserie de Tchogorlan nous plaisait au-delà de nos espérances. Nous ne regrettâmes pas une seule fois le séjour de Kounboum, pas plus que le prisonnier ne regrette son cachot après avoir recouvré la liberté. C'est que, nous aussi, nous nous sentions libres et émancipés. Nous n'étions plus sous la férule de Sandara-le-Barbu, de ce régent dur et impitoyable, qui, tout en nous donnant des leçons de thibétain, paraissait s'être en même temps imposé le devoir de nous façonner à la patience et à l'humilité. Le désir d'apprendre nous avait fait endurer tous ses mauvais traitements. Mais notre départ de Kounboum avait été pour nous une heureuse et favorable occasion d'arracher cette hideuse sangsue, qui, pendant cinq mois entiers, était demeurée opiniâtrement collée à notre existence. D'ailleurs les quelques succès que nous avions obtenus dans l'étude