Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

d'un an, dans les villes et les villages du Sse-Tchouen. Ensuite la troupe eut fantaisie de parcourir la province du Yun-Nan. Je ne voulus pas la suivre, parce que cela m'eût trop éloigné de mon pays des Trois-Vallons. Nous fîmes donc le festin de séparation, et je m'acheminai lentement vers la maison paternelle. Je fus près de deux ans en route. Partout où je passais, je m'arrêtais quelques jours pour donner de petites représentations. De comédien, je m'étais fait bateleur. Mes profits furent assez honnêtes ; car il vaut toujours mieux travailler pour son propre compte. Je fis mon entrée dans mon village, monté sur un âne magnifique que j'avais acheté à Lan-Tcheou ; en outre, j'avais douze onces d'argent dans ma bourse. Je donnai quelques représentations à mes compatriotes, qui furent émerveillés de mon habileté. Mais je dus bientôt renoncer à mon métier de bateleur.

« .... Un soir que la famille était réunie pour écouter les histoires du Thibet, ma vieille mère gardait le silence, et sa figure paraissait abîmée de tristesse ; bientôt je remarquai que de grosses larmes roulaient dans ses yeux. — Mère, lui dis-je, pourquoi pleurez-vous ? Dans mon récit il n'y a aucune parole qui puisse exciter des larmes. — Ton récit, me répondit-elle, ne fait sur moi aucune impression ni agréable ni pénible ; il frappe mes oreilles, sans pénétrer jusqu'à mon cœur. Ce qui m'attriste, ce qui m'émeut, c'est de penser que, lorsque tu partis il y a quatorze ans, pour aller visiter la terre des saints, tu étais revêtu de l'habit sacré des Lamas, et qu'aujourd'hui te voilà homme noir et bateleur ... — Ces paroles me bouleversèrent. Après un moment de silence, je me levai, et je dis avec énergie : Il