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Vous le voyez, c'était une bien mauvaise chose. Quand des pèlerins se sont dit : Partons ensemble, ils ne doivent plus se séparer...

« .... Aussitôt que le ciel commença à blanchir, nous nous mimes en route. De cinq nous n'étions plus que trois. Comme nous étions sur le point d'arriver au sommet de la mauvaise montagne ; — Tsong-Kaba, m'écriai-je, voilà que je trouve un bâton ferré ! — Tiens, dit un de mes compagnons, en jetant un coup d'œil sur l'instrument que je venais de ramasser, ce bâton est celui de Lobzan ... Nous l'examinâmes avec soin, et nous le reconnûmes. Voila, dîmes-nous, ce qu'on gagne à voyager de nuit ; on laisse tomber un objet, et puis on n'y voit pas pour le retrouver. Nous continuâmes notre route. Après une petite montée très-escarpée, nous arrivâmes sur le plateau de la montagne. Tous trois ensemble nous poussâmes un cri d'épouvante ; nous avions sous les yeux un autre bâton ferré, des habits de Lama entièrement déchirés, des lambeaux de chair humaine et des ossements rompus et à demi rongés. L'herbe arrachée, et la terre remuée en plusieurs endroits, indiquaient qu'une grande lutte avait eu lieu. Nous ne doutâmes pas un instant que des animaux sauvages, des tigres ou des loups, avaient dévoré nos deux compagnons de voyage. Je demeurai un instant comme anéanti au milieu de cet horrible spectacle ; puis je me mis à pleurer comme un enfant. Nous descendîmes avec effroi le versant de la mauvaise montagne. Depuis ce moment, la route fut tous les jours triste et silencieuse. Seulement, quand nous rencontrions quelques tentes noires, nous racontions aux bergers l'affreux malheur de nos deux