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monde comme un signe du triomphe du bonnet jaune. Le réformateur était assis sur un coussin, les jambes croisées, et ne parut pas faire attention à l'entrée du Chakdja. Il ne se leva pas pour le recevoir, et continua à dérouler gravement entre ses doigts les grains de son chapelet. Le Chakdja, sans s'émouvoir ni de la chute de son bonnet, ni du froid accueil qu'on lui faisait, entra brusquement en discussion. Il fit un pompeux éloge des rites anciens, et étala tous les droits qu'il avait à la prééminence. Tsong-Kaba, sans lever les yeux, l'interrompit en ces termes : — Lâche, cruel que tu es, lâche ce pou que tu tords entre tes doigts ... J'entends d'ici ses gémissements, et j'en ai le cœur navré de douleur. — Le Chakdja, tout en prônant son mérite, avait en effet saisi un pou sous ses habits, et au mépris de la doctrine de la transmigration, qui défend de tuer rien de ce qui a vie, il cherchait à l'écraser entre ses doigts. Ne sachant que répondre aux sévères paroles de Tsong-Kaba, il se prosterna à ses pieds et reconnut sa suprématie.

Dès ce moment, les réformes proposées par Tsong-Kaba ne trouvèrent plus d'obstacle ; elles furent adoptées dans tout le Thibet, et, dans la suite, elles s'établirent insensiblement dans les divers royaumes de la Tartarie. En 1409, Tsong-Kaba, étant âgé de cinquante-deux ans, fonda la célèbre lamaserie de Kaldan, située à trois lieues de Lha-Ssa ; elle existe encore aujourd'hui, et compte plus de huit mille Lamas. En 1419, l'âme de Tsong-Kaba, qui était devenu Bouddha, quitta la terre pour retourner dans le royaume céleste, où elle fut admise dans le ciel du ravissement. Son corps est resté à la lamaserie de Kaldan. On prétend que