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dont il trouvait, disait-il, les corrections trop sévères. Il avait ensuite passé la plus grande partie de sa jeunesse errant et vagabond, tantôt dans les villes chinoises, tantôt dans les déserts de la Tartarie. Il était aisé de comprendre que cette vie d’indépendance avait peu poli l’aspérité naturelle de son caractère ; son intelligence était entièrement inculte ; mais en retour sa puissance musculaire était exorbitante, et il n’était pas peu fier de cette qualité, dont il aimait à faire parade. Après avoir été instruit et baptisé par M. Gabet, il voulut s’attacher au service des Missionnaires. Le voyage que nous venions d’entreprendre était tout-à-fait en harmonie avec son humeur errante et aventureuse. Ce jeune homme ne nous était d’aucun secours pour nous diriger à travers les déserts de la Tartarie ; le pays ne lui était pas plus connu qu’à nous. Nous avions donc pour seuls guide une boussole et l’excellente carte de l’empire chinois par Andriveau-Goujon.

Dès notre sortie de l’auberge Yan-Pa-Eul, nous cheminâmes sans encombre et avec assez de succès, si on en excepte quelques malédictions que nous eûmes à essuyer de divers marchands chinois, en traversant une montagne. Les nombreux mulets, attelés aux lourds chariots qu’ils conduisaient, prenaient le mors aux dents, aussitôt qu’ils apercevaient venir à eux notre petite file de chameaux. Saisis d’épouvante, ils cherchaient à fuir à droite ou à gauche, mettaient le désordre dans l’attelage, et quelquefois renversaient la voiture. Les conducteurs se vengeaient alors de ce contretemps, par mille imprécations contre la grosseur des chameaux et la couleur jaune de nos habits.