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demeura stupéfait. Peu à peu sa figure s'anima, et finit par prendre l'expression de la colère et du dépit. Il nous regarda fixement à plusieurs reprises ; puis, tirant à lui la bride de son cheval, il nous tourna le dos, et s'éloigna rapidement, en marmotant entre ses dents quelques paroles dont nous ne pûmes saisir le sens, mais que nous nous gardâmes bien de prendre pour une formule de bénédiction.

Les Tartares croient d'une foi ferme et absolue à toutes ces diverses transmigrations ; ils ne se permettraient jamais d'élever le moindre doute sur l'authenticité de leurs Chaberons. Ces Bouddhas vivants sont en grand nombre, et toujours placés à la tête des lamaseries les plus importantes. Quelquefois ils commencent leur carrière modestement dans un petit temple, et s'entourent seulement de quelques disciples. Peu à peu leur réputation s'accroît dans les environs, et la petite lamaserie devient bientôt un lieu de pèlerinage et de dévotion. Les Lamas voisins, spéculant sur la vogue, viennent y bâtir leur cellule ; la lamaserie acquiert, d'année en année, du développement, et devient enfin fameuse dans le pays.

L'élection et l'intronisation des Bouddhas vivants se font d'une manière si singulière, qu'elle mérite d'être rapportée. Quand un grand Lama s'en est allé, c'est-à-dire quand il est mort, la chose ne devient pas pour la lamaserie un sujet de deuil. On ne s'abandonne ni aux larmes ni aux regrets ; car tout le monde sait que le Chaberon va bientôt reparaître. Cette mort apparente n'est que le commencement d'une existence nouvelle, et comme un anneau de plus ajouté à cette chaîne indéfinie et non interrompue