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farine d’avoine et de sarrasin pour le repas des voyageurs. Le kang de ces auberges tartaro-chinoises est le théâtre le plus animé et le plus pittoresque qu’on puisse imaginer : c’est là qu’on mange, qu’on boit, qu’on fume, qu’on joue, qu’on crie et qu’on se bat. Quand le soir arrive, ce kang, qui a servi tour à tour, pendant la journée, de restaurant, d’estaminet et de tripot, se transforme tout à coup en dortoir. Les voyageurs déroulent leurs couvertures s’ils en ont, ou bien ils s’arrangent sous leurs habits les uns à côté des autres. Quand les hôtes sont nombreux, on se place sur deux lignes, mais toujours de manière à ce que les pieds soient opposés. Quoique tout le monde se couche, il ne s’ensuit pas que tout le monde s’endort ; pendant que quelques-uns ronflent consciencieusement, les autres fument, boivent du thé, ou s’abandonnent à de bruyantes causeries. Ce fantastique tableau, à demi éclairé par la lueur terne et blafarde de la lampe, pénètre l’âme d’un vif sentiment d’horreur et de crainte. La lampe de ces hôtelleries est peu remarquable par son élégance ; ordinairement c’est une tasse cassée, contenant une longue mêche qui serpente dans une huile épaisse et nauséabonde. Ce fragment de porcelaine est niché dans un trou pratiqué dans le mur, ou bien placé entre deux chevilles de bois qui lui servent de piédestal.

L’intendant de la caisse nous avait préparé pour logement son petit cabinet particulier. Nous y soupâmes, mais nous ne voulûmes pas y coucher ; puisque nous étions voyageurs tartares, et en possession d’une bonne et belle tente, nous entendions la dresser pour faire notre apprentissage. Cette résolution ne fâcha personne ; on comprit que nous