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dit, en matière de religion, nous jetèrent dans le plus grand étonnement. Un exposé de la doctrine chrétienne que nous lui fîmes succinctement, parut peu le surprendre ; il nous soutenait même que notre langage ne s'éloignait pas des croyances des grands Lamas du Thibet. — Il ne faut pas confondre, disait-il, les vérités religieuses, avec les nombreuses superstitions qui exercent la crédulité des ignorants. Les Tartares sont simples, ils se prosternent devant tout ce qu'ils rencontrent ; tout est Borhan à leurs yeux. Les Lamas, les livres de prières, les temples, les maisons des lamaseries, les pierres mêmes, et les ossements qu'ils amoncèlent sur les montagnes, tout est mis par eux sur le même rang ; à chaque pas ils se prosternent à terre, et portent leurs mains jointes au front en criant : Borhan, Borhan. — Mais les Lamas n'admettent-ils pas aussi des Borhans innombrables ? — Ceci demande une explication, dit-il en souriant ; il n'y a qu'un seul et unique souverain qui a créé toutes choses, il est sans commencement et sans fin. Dans le Dchagar (l'Inde), il porte le nom de Bouddha, et dans le Thibet celui de Samtchè-Mitchébat (Eternel tout-puissant) ; les Dcha-Mi (Chinois), l'appellent Fo, et les Sok-po-Mi (Tartares) le nomment Borhan. — Tu dis que Bouddha est unique : dans ce cas-là, que seront le Talé-Lama de Lha-Ssa, le Bandchan du Djachi- Loumbo, le Tsong-Kaba des Sifan, le Kaldan de Tolon-Noor, le Guison-Tambadu Grand-Kouren, le Hobilgan de la Ville-Bleue, les Hotoktou de Péking, et puis tous ces nombreux Chaberons (1)[1] qui résident dans les lamaseries

  1. (1) En style lamanesque, on nomme Chaberons tous ceux qui, après leur mort, subissent des incarnations successives ; ils sont regardés comme des Bouddha-vivants.