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retirer les objets qu'ils ont déposés ; ils les laissent ordinairement mourir, selon l'expression tartare et chinoise ; c'est-à-dire que, laissant passer le terme fixé, ils perdent le droit de les retirer. Les friperies de la Ville-Bleue étaient encombrées de dépouilles tartares ; c'était bien ce qu'il fallait pour nous assortir conformément au nouveau costume que nous avions adopté.

D'abord nous visitâmes une première boutique. On nous présenta de misérables robes doublées en peau de mouton. Quoique ces guenilles fussent d'une extrême vétusté, et tellement vernissées de suif, qu'il eût été difficile d'assigner clairement quelle avait été leur couleur primitive, le marchand nous en demanda un prix exorbitant. Après avoir longtemps discuté de part et d'autre, il nous fut impossible de conclure l'affaire. Nous renonçâmes donc à cette première tentative ; et, pour tout dire, nous devons ajouter que nous y renonçâmes avec une certaine satisfaction, car nous sentions notre amour-propre blessé d'être réduits à nous affubler de ces sales vêtements. Nous allâmes donc visiter un nouveau magasin de vieux habits, puis un autre, puis un grand nombre. Nous rencontrâmes des habits magnifiques, de passables et qui eussent bien fait notre affaire ; mais la considération de la dépense était toujours là. Le voyage que nous avions entrepris, pouvant durer plusieurs années, une économie excessive était pour nous un besoin, surtout dans le début. Après avoir couru toute la journée, après avoir fait connaissance avec tous les chiffonniers de la Ville-Bleue, et avoir bouleversé tous leurs vieux habits et tous leurs vieux galons, nous retournâmes chez le premier fripier nous accommoder des vêtements