Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/136

Cette page n’a pas encore été corrigée

assez bizarre. Nous vîmes venir à nous deux chariots traînés chacun par trois bœufs, et suivant la même route que nous, mais en sens inverse. A chaque chariot étaient attachés, par de grosses chaînes en fer, douze chiens d'un aspect effrayant et féroce : quatre sur chaque côté, et quatre par derrière ; ces voitures étaient chargées de caisses carrées, enduites de vernis rouge ; les conducteurs se tenaient assis sur les caisses, et dirigeaient de là leur attelage. Il nous fut impossible de conjecturer quelle pouvait être la nature de leur chargement, pour qu'ils crussent ne pouvoir faire route qu'avec cette horrible escorte de cerbères. D'après les usages du pays, nous ne pûmes pas les questionner sur ce point ; la plus légère indiscrétion nous eût fait passer à leurs yeux pour des gens animés d'intentions mauvaises. Nous nous contentâmes de leur demander si nous étions encore très-éloignés de la lamaserie de Tchortchi, où nous espérions arriver ce jour-là ; mais les aboiements des chiens et le fracas de leurs chaînes, nous empêchèrent d'entendre leur réponse.

En cheminant dans le fond d'une vallée, nous remarquâmes sur la crête d'une montagne peu élevée, qui était devant nous, comme une longue file d'objets immobiles et de forme indéterminée. Bientôt la chose nous parut ressembler à de formidables batteries de canons, dressées sur une même ligne. Plus nous avancions, plus les objets se dessinant avec netteté venaient nous confirmer dans cette pensée. Il nous semblait voir distinctement les roues des fourgons, les affûts, les écouvillons, et surtout les bouches de ces nombreux canons braqués sur la plaine. Mais comment faire entrer dans notre esprit, qu'une armée ;