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colère : c'étaient des interpellations vives et animées, qu'il adressait, en gesticulant, au mannequin de paille. Après ce terrible exorcisme, il donnait un signal, en étendant ses deux bras à droite et à gauche ; tous les Lamas entonnaient aussitôt un bruyant refrain, sur un ton précipité et rapide ; tous les instruments de musique étaient en jeu ; les gens de la famille sortaient brusquement, à la file les uns des autres, faisaient en courant le tour de la tente, qu'ils frappaient violemment avec des pieux, pendant qu'ils poussaient des cris à faire dresser les cheveux sur la tête. Après avoir exécuté trois fois cette ronde infernale, la file rentra avec précipitation, et chacun se remit à sa place. Alors, pendant que tous les assistants se cachaient la figure des deux mains, le grand Lama se leva, pour aller mettre le feu au mannequin. Dès que la flamme commença à s'élever, il poussa un grand cri, qui fut à l'instant répété par toutes les voix. Les hommes noirs s'emparèrent du diable enflammé, et coururent le porter dans la prairie, loin de la tente. Pendant que le Tchutgour des fièvres intermittentes se consumait au milieu des cris et des imprécations, les Lamas demeurés accroupis dans l'intérieur de la tente, chantaient leurs prières sur un ton paisible, grave et solennel.

Les gens de la famille étant de retour de leur courageuse expédition, les chants cessèrent, pour faire place à de joyeuses exclamations, entrecoupées par de grands éclats de rire. Bientôt tout le monde sortit tumultuairement hors de la tente, et chacun tenant dans sa main une torche allumée, on se mit en marche : les hommes noirs allaient les premiers, puis venait la vieille fiévreuse, soutenue à