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avaient enfoncé entre ses jambes, ils le firent tenir debout dans la tente où se trouvait la malade.

La cérémonie commença à onze heures de la nuit ; les Lamas vinrent se ranger en rond au fond de la tente, armés de cymbales, de conques marines, de cloches, de tambourins, et de divers instruments de leur bruyante musique. Le cercle était terminé sur l'avant par les Tartares de la famille, au nombre de neuf ; ils étaient tous accroupis et pressés les uns contre les autres ; la vieille à genoux, ou plutôt assise sur ses talons, était en face du mannequin qui représentait le diable des fièvres. Le Lama docteur avait devant lui un grand bassin en cuivre, rempli de petit millet et de quelques statuettes fabriquées avec de la pâte de farine. Quelques argols enflammés jetaient, avec beaucoup de fumée, une lueur fantastique et vacillante sur cette étrange scène.

Au signal donné, l'orchestre exécuta une ouverture musicale capable d'effrayer le diable le plus intrépide. Les hommes noirs ou séculiers battaient des mains en cadence, pour accompagner le son charivarique des instruments et les hurlements des prières. Quand cette musique infernale fut terminée, le grand Lama ouvrit le livre des exorcismes, qu'il posa sur ses genoux. A mesure qu'il psalmodiait, il puisait dans le bassin de cuivre quelques grains de petit millet, et les projetait çà et là autour de lui, selon qu'il était marqué par la rubrique. Le grand Lama priait ordinairement seul, tantôt sur un ton lugubre et étouffé, tantôt par de longs et grands éclats de voix. Quelquefois il abandonnait la manière cadencée et rhythmique de la prière ; on eût dit alors qu'il entrait tout à coup dans un violent accès de