Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée

voisines, nous dit le vieillard, sont aussi en fête ; elles attendent le chanteur ; cependant, puisque vous paraissez écouter avec intérêt les chants tartares, nous continuerons encore un instant. Nous avons dans notre propre famille un de nos frères, qui possède assez bien, dans sa mémoire, un grand nombre d'airs chéris des Mongols... ; mais il ne sait pas faire parler les cordes de l'instrument, ce n'est pas un Toolholos ... N'importe, dit en riant le vieillard, Nymbo, approche-toi ; tu n'auras pas toujours des Lamas du ciel d'occident pour t'écouter.

Aussitôt un Mongol, qui se tenait accroupi dans un coin, et que nous n'avions pas encore remarqué, se leva promptement et vint occuper la place que le Toolholos avait laissée vide. La physionomie de ce personnage était vraiment remarquable ; son cou était enfoncé totalement entre ses larges épaules ; ses grands yeux blancs et sans mouvement, contrastaient avec la noirceur de sa figure calcinée par le soleil ; enfin une chevelure, ou plutôt des poils mal peignés, et s'en allant par longues mêches de côté et d'autre, achevaient de lui donner un air tout-à-fait sauvage. Il se mit à chanter ; mais c'était une contrefaçon, une parodie du véritable chant. Son grand mérite était de retenir longtemps son haleine, et de faire des fugues interminables et capables de faire tomber ses auditeurs en pamoison. Nous fûmes bientôt fatigués de ses criailleries, et nous attendions avec impatience un moment de repos pour lever la séance. Mais ce n'était pas chose aisée : on eût dit que ce terrible virtuose avait deviné notre pensée ; quand il avait achevé un air, il avait le détestable talent de le joindre à un autre, sans jamais s'arrêter. Nous fûmes donc obligés de subir longtemps