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plir, on gémissait sur la mort de la bête[1], on la pleurait comme un parent. On lui demandait pardon avant de la frapper. On s’adressait au reste de l’espèce à laquelle elle appartenait, comme à un vaste clan familial que l’on suppliait de ne pas venger le dommage qui allait lui être causé dans la personne d’un de ses membres[2]. Sous l’influence des mêmes idées[3], il arrivait que l’auteur du meurtre était puni ; on le frappait[4] ou on l’exilait. À Athènes, le prêtre du sacrifice des Bouphonia s’enfuyait en jetant sa hache ; tous ceux qui avaient pris part au sacrifice étaient cités au Prytaneion ; ils rejetaient la faute les uns sur les autres ; finalement, on condamnait le couteau, qui était jeté à la mer[5]. Les purifications que devait subir le sacrificateur après le sacrifice ressemblaient d’ailleurs à l’expiation du criminel[6].

  1. Stengel, op. cit., p. 101. — Hérod., II. 39, 40. — À Rome, Marq., op. cit., VI, p. 192. — Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 430, 431. — Frazer, Gold. B., I, p. 364 ; II, p. 102 sqq. — Peut-être faut-il rapprocher de ces pratiques le deuil de Flaminica, lors de la fête des Argei. Pl., Qu. Rom., 86.
  2. Ce rite, fort général, comme l’a montré M. Frazer, est remarquablement exprimé dans le rituel hindou. Au moment d’étouffer, parmi les formules que le prêtre ordonnateur, le maitrâvaruṇa, récite, celles de l’adhṛgunigada (Âçv. çr. sû., II, 3, 1 commenté Ait. Br., 6, 6, 1), qui comptent parmi les plus antiques du rituel védique, se trouve la suivante : « Ils nous l’ont abandonné cet être, sa mère et son père, sa sœur et son frère de même souche, et son compagnon de même race » Âp. çr. sû., VII, 25, 7, avec T. S., 3, 6, 11, 2. Voir Schwab, p. 141, n. et Çat. Br., 3, 8, 3, 11 ; Âp., VII, 16, 7. — Cf. T. S., 6, 3, 8, 3 et Ç. B., 3, 8, 1, 15.)
  3. Le çamitar, l’ « apaiseur », nom euphémistique du sacrificateur, peut être ou n’être pas un brahmane (Âp., VII, 17, 14). En tous cas, c’est un brahmane de rang inférieur, car il porte le péché d’avoir tué un être sacré, quelquefois inviolable. Il y a dans le rituel une sorte d’imprécation contre lui : « Que dans toute votre race, jamais un tel apaiseur ne fasse de telles choses », c’est-à-dire, puissiez-vous n’avoir pas de sacrificateur parmi vos parents. (Nous suivons le texte d’Âçv. çr. sû., III, 3, 1, que suit M. Schwab, op. cit., p. 105, et non pas le texte d’Ait. Br., 6, 7, 11.
  4. Ælien, Nat. an., XII, 34 (Tenedos). — Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 305.
  5. Porph., De Abst., II, 29-30 ; Paus., I, 24, 4 ; 28, 20. — Mythe de l’institution des Karneia : Paus., III, 13, 4 : Usener, Rhein. Mus., 1898, p. 359 sqq. — Stengel, op. cit., p. 140. — Cf. Platon, Leg., IX, p. 865.
  6. Voir Frazer, Paus., t. III, p. 54 sqq.