Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ainsi que ce rapprochement du sacré et du profane, que nous avons vu se poursuivre progressivement à travers les divers éléments du sacrifice, s’achève dans la victime.

Nous voici arrivés au point culminant de la cérémonie. Tous les éléments du sacrifice sont donnés ; ils viennent d’être mis une dernière fois en contact. Mais l’opération suprême reste à accomplir[1]. La victime est déjà éminemment sacrée. Mais l’esprit qui est en elle, le principe divin qu’elle contient maintenant, est encore engagé dans son corps et rattaché par ce dernier lien au monde des choses profanes. La mort va l’en dégager, rendant ainsi la consécration définitive et irrévocable. C’est le moment solennel.

C’est un crime qui commence, une sorte de sacrilège. Aussi, pendant qu’on amenait la victime à la place du meurtre, certains rituels prescrivaient-ils des libations et des expiations[2]. On s’excusait de l’acte qu’on allait accom-

    avec les deux broches de la vapâ, celles avec lesquelles on enlève la graisse de l’épiploon. Ainsi, il est comme touché et non touché » (cf. 6, 3, 5, 1). Le Ç. B. explique que la communication est mystérieuse, à la fois inoffensive et utile pour le sacrifiant dont le vœu et l’âme vont au ciel avec la victime.

  1. Nous n’étudions pas la question de la « présentation » de la victime au dieu et de l’invocation qui l’accompagne le plus souvent. Nous serions entraînés à de trop longs développements, car il s’agit là des rapports du sacrifice et de la prière. Disons seulement qu’il y a : 1o  des rites manuels : lier la bête au poteau (voir plus haut, p. 37), aux cornes de l’autel (Ps. CXVIII, 27 ; cf. Rob. Smith, p. 322 ; Lév. I, 11) ; 2o  des rites oraux : invitation des dieux, description des qualités de la victime, définition des résultats qu’on attend. On appelle la consécration d’en haut par tous ces moyens réunis.
  2. Nous faisons allusion aux libations dites apavyâni du sacrifice animal hindou (voir Schwab, Th., p. 98, n. 1. Cf. comm. à T. B., 3, 8, 17, 5 : rattache le mot à la racine , purifier). Elles ne se retrouvent que dans les écoles du Yajur veda Noir. Elles se font pendant la consécration de la bête à l’aide du tour du feu, et au moment où on la conduit à la place du meurtre (Âp., VII, 15, 4, les mantras sont : T. S., 3, 1, 4, 1, 2 — expliqués T. S., 3, 1, 5, 1. Ils se retrouvent M. S., 1, 2, 1). Les formules expriment que les dieux s’emparent de la bête et que celle-ci va au ciel ; que cette bête représente les autres, parmi les bestiaux dont Rudra-Prajâpati est le maître, lequel recouvrant sa progéniture, la liant, va « cesser de lier » (faire mourir) les vivants, bêtes et hommes, etc.