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sémitique[1], de même il voulut voir dans les pratiques du culte totémique la souche du sacrifice. Dans le totémisme, le totem, ou le dieu, est parent de ses adorateurs ; ils ont même chair et même sang ; le rite a pour objet d’entretenir et de garantir cette vie commune qui les anime et l’association qui les lie. Au besoin, il rétablit l’unité. L’ « alliance par le sang » et le « repas en commun » sont les moyens les plus simples d’atteindre ce résultat. Or, le sacrifice ne se distingue pas de ces pratiques aux yeux de R. Smith. C’était pour lui un repas où les fidèles, en mangeant le totem, se l’assimilaient, s’assimilaient à lui, s’alliaient entre eux ou avec lui. Le meurtre sacrificiel n’avait d’autre objet que de permettre la consommation d’un animal sacré et, par conséquent, interdit. Du sacrifice communiel R. Smith déduit les sacrifices expiatoires ou propitiatoires, c’est-à-dire les piacula et les sacrifices dons ou honoraires. L’expiation n’est, suivant lui, que le rétablissement de l’alliance rompue ; or, le sacrifice totémique avait tous les effets d’un rite expiatoire. Il retrouve, d’ailleurs, cette vertu dans tous les sacrifices, même après l’effacement total du totémisme.

Restait à expliquer pourquoi la victime, primitivement partagée et mangée par les fidèles, était généralement détruite tout entière dans les piacula. C’est que, à partir du moment où les anciens totems furent supplantés par les animaux domestiques dans le culte des peuples pasteurs, ils ne figurèrent plus dans les sacrifices que rarement et dans des circonstances particulièrement graves. Par suite, ils apparurent comme trop sacrés pour que les profanes pussent y toucher : les prêtres seuls en mangeaient, ou bien on faisait tout disparaître. Dans ce cas, l’extrême sainteté de la victime finit par se tourner en impureté ; le caractère ambigu des choses sacrées, que R. Smith avait si admirablement mis en lumière, lui permettait d’expliquer facile-

  1. Kinship and Marriage in Early Arabia, 1884, Cambridge.