Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haute et comme la limite idéale de l’abnégation sans réserve.

Mais, de même que le sacrifice du dieu ne sort pas de la sphère de l’imagination religieuse, de même on pourrait croire que le système tout entier n’est qu’un jeu fantastique d’images. Les pouvoirs auxquels s’adresse le fidèle qui sacrifie ses biens les plus précieux semblent n’être rien de positif. Qui ne croit pas, ne voit dans ces rites que de vaines et coûteuses illusions et s’étonne que toute l’humanité se soit acharnée à dissiper ses forces pour des dieux fantomatiques. Maie il y a peut-être de véritables réalités auxquelles il est possible de rattacher l’institution dans son intégralité. Les notions religieuses, parce qu’elles sont crues, sont ; elles existent objectivement, comme faits sociaux. Les choses sacrées, dieux et autres, par rapport auxquelles fonctionne le sacrifice sont des choses sociales. Et cela suffit pour expliquer le sacrifice. Pour que le sacrifice soit bien fondé, deux conditions sont nécessaires. Il faut d’abord qu’il y ait en dehors du sacrifiant des choses qui le fassent sortir de lui-même et auxquelles il doive ce qu’il sacrifie. Il faut ensuite que ces choses soient près de lui pour qu’il puisse entrer en rapport avec elles, y trouver la force et l’assurance dont il a besoin et retirer de leur contact le bénéfice qu’il attend de ses rites. Or, ce caractère de pénétration intime et de séparation, d’immanence et de transcendance est, au plus haut degré, distinctif des choses sociales. Elles aussi existent à la fois, selon le point de vue auquel on se place, dans et hors l’individu. On comprend dès lors ce que peut être la fonction du sacrifice, abstraction faite des symboles par lesquels le croyant se l’exprime à lui-même. C’est une fonction sociale parce que le sacrifice se rapporte à des choses sociales.

D’une part, ce renoncement personnel des individus ou des groupes à leurs propriétés alimente les forces sociales.