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ment les restes de la victime ne pourraient être utilisés. Ces deux éléments sont donc si étroitement interdépendants que l’un ne peut exister sans l’autre.

Mais, de plus, ces deux sortes de sacrifices ne sont encore que des types abstraits. Tout sacrifice a lieu dans des circonstances et en vue de fins déterminées ; de la diversité des fins qui peuvent être ainsi poursuivies naissent des modalités diverses dont nous avons donné quelques exemples. Or, d’une part, il n’y a point de religion où ces modalités ne coexistent en plus ou moins grand nombre ; tous les rituels sacrificiels que nous con naissons présentent déjà une grande complexité. De plus, il n’y a pas de rite particulier qui ne soit complexe en lui-même ; car, ou bien il poursuit plusieurs buts à la fois, ou bien, pour en atteindre un seul, il met en mouvement plusieurs forces. Nous avons vu des sacrifices de désacralisation et même proprement expiatoires se doubler de sacrifices communiels. Mais on pourrait donner bien d’autres exemples de complications. Les Amazulu, pour avoir de la pluie, rassemblent un troupeau de bœufs noirs, en tuent un, le mangent en silence ; puis brûlent les os hors du village ; ce qui fait trois thèmes différents dans la même opération[1].

Dans le sacrifice animal hindou, cette complexité est encore plus accusée. Nous y avons trouvé des parts expiatoires attribuées aux mauvais génies, des parts divines réservées, des parts de communion dont le sacrifiant jouissait, des parts sacerdotales que consommaient les prêtres. La victime sert également à des imprécations contre l’ennemi, à des divinations, à des vœux. Par un de ses aspects, le sacrifice ressortit aux cultes thériomorphiques, car on envoie l’âme de la bête rejoindre au ciel les archétypes des bêtes et y entretenir la perpétuité de l’espèce. C’est aussi un rite de consommation, car le sacri-

  1. Callaway, Religious system of the Amazulu, p. 59 ; cf. p. 92.