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quefois, la lutte survenait entre un oncle et son neveu, ou même entre un père et son fils[1].

À défaut de cette parenté, une autre relation unit les acteurs du drame et montre leur identité fondamentale. L’animal sacré de Persée à Sériphos était le crabe, le καρκίνος[2]. Or le crabe qui, dans la légende de Sériphos, était l’ennemi du poulpe, se joint à l’hydre de Lerne, qui est un poulpe, pour combattre Hercule. Le crabe, comme le scorpion, est tantôt l’allié, tantôt l’ennemi du dieu solaire ; au total, ce sont des formes du même dieu. Les bas-reliefs mithriaques montrent Mithra chevauchant le taureau qu’il va sacrifier. Ainsi Persée montait Pégase, né du sang de la Gorgone. Le monstre ou l’animal sacrifié servait de monture au dieu victorieux avant ou après le sacrifice. En somme, les deux dieux de la lutte ou de la chasse mythique sont des collaborateurs. Mithra et le taureau, dit Porphyre, sont démiurges au même titre[3].

Ainsi le sacrifice avait produit dans la mythologie une infinité de rejetons. D’abstraction en abstraction, il était devenu l’un des thèmes fondamentaux des légendes

  1. Oineus et les fils d’Agrios. Usener, Gött. Syn. (Rh. Mus., LIII, p. 375).
  2. Tümpel, Der Karabos des Perseus in Philologus, Neue Folge, VII, p. 544. — Cf. Stucken, Astralmythen, I, Abraham, 233 sqq.
  3. Porphyre, Antr. Nymph., 24. — Darmesteter, Ormuzd et Ahriman, p. 327 sqq. — Il va sans dire que les explications symboliques (ex. : Gruppe, Griech. Cult. und Myth., p. 133 sqq. ; Frazer, Gold. B., I, p. 408) ne sauraient convenir. Le symbole n’est qu’une explication après coup et du mythe et du rite. En effet, ces légendes sont si naturellement sacrificielles qu’elles peuvent être remplacées par des épisodes où le dieu offre lui-même un sacrifice. Ex. : légende de Persée (Pausan. de Damas, frg. 4) : Persée offre un sacrifice pour faire cesser une inondation (légende d’introduction probablement récente dans le cycle) ; légende d’Aristée (Diod., IV, 81-82) : Aristée sacrifie pour faire cesser une peste (autre légende, Virg., Géorg., IV, 548 sqq. Cf. Maas, Orpheus, p. 278-297 ; Gruppe, Gr. Myth., p. 249, n. 2 ; Porphyre, Antr. Nymph., c. XVIII). Cf. lion de Samson (Juges, XIV, 8). Sur le sacrifice mithriaque, voir Cumont, Textes et Monum. rel. au culte de Mithra, passim ; Darmesteter, Ormuzd et Ahriman, p. 150, p. 256 ; sur les dieux sacrifiants, dans l’Inde védique, équivalents aux dieux lutteurs, ou luttant à l’aide du sacrifice, voir S. Lévi, Doctr., II.