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attribuée tout entière. C’était une façon de faire participer le laboureur aux bénéfices de la consécration, et peut-être ainsi, de confier à sa garde les forces qu’il s’assimilait et que, dans d’autres cas, on fixait dans le champ. D’ailleurs, plus tard, on semait les reliefs de ce repas, lorsqu’on ensemençait ou labourait[1]. Ou bien encore, on partageait une autre victime, nouvelle incarnation du génie agraire, et l’on disséminait dans la terre la vie qui en avait été autrefois retirée. Ce qu’on rendait à la terre c’était à la terre qu’on l’avait emprunté[2]. Cette correspondance fondamentale entre les rites de la profanation des prémices et ceux de la fertilisation des champs, entre les deux victimes, a pu, dans certains cas, donner lieu à une véritable fusion des deux cérémonies, pratiquées alors sur une même victime. C’est ce qui est arrivé pour les Bouphonia. Elles sont un sacrifice à double face : elles sont un sacrifice du battage, puisqu’elles commençaient par une offrande de prémices, mais elles ont également pour but final la fertilisation de la terre. On a vu, en effet, d’après la légende, que la fête fut établie pour mettre fin à une famine et à une sécheresse. On pourrait même dire que la communion faite à l’aide de la chair du bœuf a, elle aussi, ce double but : permettre la consommation des nouveaux grains, donner aux citoyens une bénédiction spéciale pour leurs futurs travaux agraires.

Mais poursuivons l’analyse de nos données. Nous touchons au troisième moment de notre rite. Sopatros, en tuant le bœuf, avait tué l’esprit du blé et le blé n’avait pas repoussé. D’après les termes de l’oracle, le second sacrifice doit ressusciter le mort. C’est pourquoi on empaille le bœuf ; le bœuf empaillé[3], c’est le bœuf ressuscité. On

  1. Mannhardt, W. F. K., I, p. 350 sqq. — Frazer, Gold. B., I, p. 381 sqq.
  2. Le génie vivait l’hiver à la ferme. — Frazer, Gold. B., II, p. 16, 14.
  3. Cf. Kondakoff et Reinach, Antiquités de la Russie méridionale, p. 181 (tribu de l’Altaï). — Hérod., IV, 72. — Frazer, Golden B., II. p. 42 (Chine). Ib., 94, 220, pour des usages du même genre.