Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En second lieu, ils sont un moyen de fertiliser les champs que l’on cultive et de conserver leur vie quand, après la récolte, ils apparaissent dépouillés et comme morts. Les champs, en effet, et leurs produits sont considérés comme éminemment vivants. Il y a en eux un principe religieux qui sommeille pendant l’hiver, reparaît au printemps, se manifeste dans la moisson et la rend, pour cette raison, d’un abord difficile aux mortels. Parfois même, on se représente ce principe comme un esprit qui monte la garde autour des terres et des fruits ; il les possède, et c’est cette possession qui constitue leur sainteté. Il faut donc l’éliminer pour que la moisson ou l’usage des fruits soit possible. Mais en même temps, comme il est la vie même du champ, il faut, après l’avoir expulsé, le recréer et le fixer dans la terre dont il fait la fertilité. Les sacrifices de désacralisation simple peuvent suffire au premier de ces besoins, mais non au second. Les sacrifices agraires ont donc, pour la plupart, des effets multiples. On y trouve réunis des formes de sacrifices différentes. C’est un des cas où l’on observe le mieux cette complexité fondamentale du sacrifice sur laquelle nous ne saurions trop insister. Aussi ne prétendons-nous pas faire en ces quelques pages une théorie générale du sacrifice agraire. Nous n’osons pas prévoir toutes les exceptions apparentes et nous ne pouvons débrouiller l’enchevêtrement des développements historiques. Nous nous bornerons à l’analyse d’un sacrifice bien connu, qui a fait déjà l’objet d’un certain nombre d’études. C’est le sacrifice à Zeus Polieus que les Athéniens célébraient dans la fête connue sous le nom de Dipolia ou de Bouphonia[1].

  1. Voir Mannhardt, Mythologische Forschungen, p. 68 sqq.Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 304 sqq. — Frazer, Golden Bough, II, p. 38, 41. — V. Prott, Buphonien, Rhein. Mus., 1891, p. 187 sqq. — Stengel, ib., p. 399 sqq. — Farnell, Cults of the Greek States, I, p. 56, 58 et p. 88 sqq. (voit dans les bouphonies un cas de culte totémique). — Frazer, Pausanias, t. II, p. 208 sqq. ; t. V, p. 599. — A. Mommsen, Heortologie², p. 512 sqq. — Gruppe, Griechische Mythologie, I, p. 29.