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sacrifice des vaches noires[1], ou l’on fait intervenir dans le sacrifice un cheval noir sur lequel on verse de l’eau[2], etc. On peut donner de ce principe général une raison très plausible. Là, comme dans l’acte magique avec lequel ces rites se confondent par certains côtés, le rite agit, au fond, par lui-même. La force dégagée est efficace. La victime se moule sur la formule votive, s’incorpore à elle, la remplit, l’anime, la porte aux dieux, en devient l’esprit, « le véhicule[3] ».

Nous n’avons fait qu’indiquer comment le schème du sacrifice varie avec les différents effets qu’il doit produire. Voyons comment les divers mécanismes que nous avons distingués peuvent se réunir dans un sacrifice unique. Les sacrifices agraires sont précisément d’excellents exemples à ce point de vue. Car, essentiellement objectifs, ils n’en ont pas moins d’importants effets sur le sacrifiant.

Ces sacrifices ont un double but. Ils sont destinés d’abord à permettre et de travailler la terre et d’utiliser ses produits, en levant les interdictions qui les protègent.

  1. Cullaway, Religious System of the Amasuiu, p. 59, n. 14. Cf. Frazer, Gold. Bough, II, 42, etc. — Cf. Marillier, Rev. Hist. Relig., 1898, t. I, p. 209. — Cf. Sahagun, Historia de las cosas de la Na España, II, p. 20.
  2. Hillebrandt, Ved. Rit. Litt., p. 75. — Il faut rapprocher de ces faits les cas de noyades de victimes dans l’eau. Dans d’autres cas on répand sur une victime quelconque de l’eau : ex. II Rois, XVIII, 49 sqq.  etc. — Cf. Kramer, d’après Smirnov, Das Fest Sineja und das Feldgebel, etc. Bull. Soc. Arch. Hist. Ethn. de l’Univ. de Kazan, in Globus, 1898, p. 165. Smirnov et Boyer, Populat. finnoises, 1898, p. 175.
  3. Dans le rituel védique, lorsqu’on oint l’animal sur la croupe on dit : « Que le maître du sacrifice (le sacrifiant) aille avec [toi et] sa volonté au ciel » (Âp. çr. sû., VII, 14, 4. V. S., 6, 40, c. T. S., 1, 3, 8, 1) ; commenté (T. S., 6, 3, 7, 4. Ç. B., 8, 7, 4. 8) où il est expliqué que la bête s’en va au ciel et emmène en croupe le vœu du sacrifiant. On s’est très souvent figuré la victime comme un messager des hommes, ainsi les Mexicains, ainsi les Thraces d’Hérodote (IV, 9), etc. — Notre énumération des sacrifices objectifs n’est nullement complète : nous n’avons traité ni du sacrifice divinatoire, ni du sacrifice d’imprécation, ni du sacrifice nourriture, ni du sacrifice du serment, etc. Une étude de ces diverses formes démontrerait peut-être qu’il s’agit, là aussi, de créer et d’utiliser une chose sacrée, un esprit qu’on dirige vers telle et telle chose. On pourra peut-être, de ce point de vue, arriver à une classification.