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génie du sol que les travaux de construction vont léser[1]. La couleur de la victime varie par cela même : elle est noire, par exemple, s’il s’agit de propitier le génie de la terre, blanche si l’on veut créer un esprit favorable[2]. Les rites de destruction eux-mêmes ne sont pas identiques dans les deux cas.

Dans le sacrifice-demande, on cherche avant tout à produire certains effets spéciaux que le rite définit. Si le sacrifice est l’accomplissement d’une promesse déjà faite, s’il est fait pour délier l’obligataire du lien moral et religieux qui pèse sur lui, la victime a, à quelque degré, un caractère expiatoire[3]. Si, au contraire, on veut engager la divinité par un contrat, le sacrifice a plutôt la forme d’une attribution[4] : le do ut des est le principe et, par suite, il n’y a pas de part réservée aux sacrifiants. S’il s’agit de remercier la divinité d’une grâce particulière[5], l’holocauste, c’est-à-dire l’attribution totale, ou bien le shelamim, c’est-à-dire le sacrifice dont une part reste au sacrifiant, peuvent être de règle. D’un autre côté, l’importance de la victime est en relation directe avec la gravité du vœu. Enfin, les caractères spéciaux de la victime dépendent de la nature de la chose désirée : si l’on veut de la pluie, on

  1. Le cas est fort général, lui aussi. Il s’agit de se racheter, par une victime, des colères de l’esprit propriétaire soit du sol, soit, dans quelques cas, de la construction elle-même. Les deux rites se trouvent réunis dans l’Inde (voir Winternitz, loc. cit.), dans le sacrifice à vastoṣpati « Rudra maître du lieu » ; d’ordinaire ils sont isolés (Sartori, loc. cit., p. 14, 15, 19 et p. 42 sqq.).
  2. Voir Winternitz, loc. cit.
  3. Le cas le plus connu est celui de la fille de Jephté. Mais il y a toujours, après l’accomplissement d’un sacrifice volontaire, le sentiment de s’être acquitté, d’avoir « rejeté le vœu », comme disent énergiquement les théologiens hindous.
  4. La formule générale de l’attribution que disait le sacrifiant, lorsque l’officiant jetait au feu une part quelconque, était, dans l’Inde Védique : « Ceci au Dieu N. N. pas à moi ».
  5. Ce sont les sacrifices « de grâce », de louange de la Bible. — Ils semblent avoir été assez peu nombreux dans la plupart des religions : voir pour l’Inde, Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 305, 6 ; Wilken, Over eine nieuwe Theorie des Offers, De Gids, 1890, p. 365, sqq.