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partie et, par cela seul, les autres sont libérées[1]. Ou bien encore, passant par deux étapes de désacralisation successives, on concentre d’abord sur les prémices l’ensemble de la consécration, puis, on représente ces prémices elles-mêmes par une victime que l’on élimine. C’est ce qui arrivait, par exemple, dans le cas de l’apport des premiers fruits à Jérusalem[2]. Les habitants d’un district[3] apportaient en corps leurs paniers. En tête du cortège marchait un joueur de flûte. Des cohanim venaient au-devant des arrivants ; et, dans la ville, tout le monde se levait à leur passage, rendant ainsi les honneurs dus aux choses sacrées qui étaient là. Derrière le joueur de flûte, il y avait un bœuf, aux cornes dorées, couronné d’olivier. Ce bœuf, qui peut-être portait les fruits ou traînait le char, était plus tard sacrifié[4]. Arrivé à la montagne sainte, chacun, « même le roi Agrippa en personne », prenait son panier et montait au parvis[5]. Les colombes qui étaient posées dessus servaient d’holocaustes[6], et ce qu’on avait en mains était remis au prêtre. Ainsi, dans ce cas, deux moyens se superposent

  1. Cette partie est d’ordinaire la première de toute chose. On sait quelle est l’étendue des prescriptions bibliques qui concernent les premiers-nés des hommes et des animaux, les premiers fruits et les premiers grains de l’année, les premiers produits d’un arbre (‘orlâ), le premier blé consommé (azymes), la première pâte levée (ḫallâ). De tout ce qui vit et fait vivre les prémices appartiennent à Iahwe. Les bénédictions talmudiques et synagogales ont encore accentué ce thème, puisqu’elles sont obligatoires quand on goûte pour la première fois d’un fruit, quand on commence le repas, etc.
  2. Talmud J., Biccourim, I, Mischnâ, 2 et suiv. On ne peut évidemment suivre le rite dans les textes bibliques qui ne contiennent que les prescriptions sacerdotales et non pas les usages populaires. Le caractère populaire de tout ce rite est évident : ce joueur de flûte, ce bœuf couronné d’olivier, aux cornes dorées (que pouvait remplacer un chevreau aux cornes argentées, cf. Gem. ad loc.), ces paniers, ces colombes, ce sont là des traits originaux, d’une antiquité incontestable. D’ailleurs ces textes mischnaïques sont fort anciens eux-mêmes.
  3. Ils se réunissaient la veille, et passaient la nuit sur la place publique de peur de contact impur selon la Gemarâ.
  4. Gem. à 2. Les rabbins discutent pour savoir si c’était en shelamim on en ‘olâ.
  5. Rite de rachat personnel, cas assez remarquable.
  6. Cf. Menaḫot, dans Talm. Babli, 58 a (renvoi de Schwab, ad loc.).