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Puisque le sacrifice a pour but d’affecter l’état religieux du sacrifiant ou de l’objet du sacrifice, on peut prévoir a priori que les lignes générales de notre dessin doivent varier suivant ce qu’est cet état au début de la cérémonie. Supposons d’abord qu’il soit neutre. Le sacrifiant (et ce que nous disons du sacrifiant pourrait se répéter de l’objet dans le cas du sacrifice objectif) n’est investi, avant le sacrifice, d’aucun caractère sacré : le sacrifice a alors pour fonction de le lui faire acquérir. C’est ce qui arrive notamment dans les sacrifices d’initiation et d’ordination. Dans ces cas, comme la distance est grande entre le point d’où part le sacrifiant et celui où il doit arriver, les cérémonies d’introduction sont nécessairement développées ; il entre pas à pas, avec précaution, dans le monde sacré. Inversement, comme la consécration est alors plus désirée que redoutée, on craindrait de l’amoindrir en la limitant et en la circonscrivant trop étroitement. Il faut que le sacrifiant, même rentré dans la vie profane, garde quelque chose de ce qu’il a acquis au cours du sacrifice. Les pratiques de sortie sont donc réduites à leur plus simple expression. Elles peuvent même disparaître tout à fait. Le Pentateuque ne les signale pas quand il décrit les rites de l’ordination des prêtres, des Lévites. Dans la messe chrétienne, elles ne survivent que sous la forme de purifications supplémentaires. Les changements produits par ces sacrifices ont, d’ailleurs, une durée très variable. Ils sont parfois constitutionnels et impliquent une véritable métamorphose. On prétendait que l’homme qui touchait aux chairs de la victime humaine sacrifiée à Zeus Lycaios (le loup) sur le Lycée était changé en loup, comme Lycaon l’avait été après avoir sacrifié un enfant[1]. C’est même pour cette raison que ces sacrifices se retrouvent dans les rites d’initiation, c’est-à-

  1. Plat., Rép., VIII. — Paus., VIII, 2, 6 ; VI, 2, 3. — Pline, N. H., VIII, 22. — Voir Mannhardt, W. F. K., II, p. 340. — Même légende sur le sanctuaire de Hyrie : Gruppe, Griech. Mythologie, p. 67 sqq. — Cf. Wellhausen, Reste des Arabischen Heidenthums, p. 162 et n., p. 163. — Voir plus bas, p. 84.