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est l’intermédiaire par lequel le courant s’établit. Grâce à elle, tous les êtres qui se rencontrent au sacrifice s’y unissent. Toutes les forces qui y concourent se confondent.

Il y a plus : il n’y a pas seulement ressemblance, mais solidarité étroite entre ces deux sortes de pratiques d’attribution. Les premières sont la condition des secondes. Pour que la victime puisse être utilisée par les hommes, il faut que les dieux aient reçu leur part. Elle est, en effet, chargée d’une telle sainteté que le profane, malgré les consécrations préalables qui l’ont, dans une certaine mesure, élevé au-dessus de sa nature ordinaire et normale, ne peut y toucher sans danger. Il faut donc abaisser de quelques degrés cette religiosité qui est en elle et qui la rend inutilisable pour les simples mortels. Déjà l’immolation avait, en partie, atteint ce résultat. En effet, c’est dans l’esprit que cette religiosité était le plus éminemment concentrée. Une fois donc que l’esprit est parti, la victime devient plus abordable. On pouvait la manier avec moins de précautions. Il y avait même des sacrifices où tout péril avait dès lors disparu : ce sont ceux où l’animal tout entier est utilisé par le sacrifiant, sans qu’il en soit rien attribué aux dieux. Mais, dans d’autres cas, cette première opération ne suffisait pas à décharger la victime autant qu’il était nécessaire. Il fallait donc s’y reprendre à nouveau pour éliminer encore, vers les régions du sacré, ce qui était resté en elle de trop redoutable ; il fallait, comme le dit le rituel hindou, refaire une sorte de nouveau sacrifice[1]. C’est là l’objet des rites d’attribution aux dieux.

Ainsi les rites, si nombreux, qui sont pratiqués sur la victime, peuvent être, dans leurs traits essentiels, résumés en un schéma très simple. On commence par la consacrer ; puis les énergies que cette consécration a suscitées et concentrées sur elle, on les fait échapper, par la destruction, les unes vers les êtres du monde sacré, les autres vers les

  1. Voir plus haut.