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dix-huit morceaux qui ont servi à faire ce bouillon, un certain nombre sont prélevés qui sont encore attribués à différentes divinités ou personnalités mythiques[1].

Mais sept de ces parts servent à un tout autre objet[2] : c’est par elles que va être communiquée au sacrifiant la vertu sacrée de la victime[3]. Elles constituent ce qu’on nomme l’iḍâ. Ce nom est également celui de la déesse qui personnifie les bestiaux et qui dispense la fortune et la fécondité[4]. Le même mot désigne donc cette divinité et la part sacrificielle[5]. C’est que la déesse vient s’y incarner au cours même de la cérémonie, et voici comment s’opère cette incarnation. Dans les mains d’un prêtre, préalablement ointes[6], on place l’iḍâ ; les autres prêtres et le sacrifiant l’entourent et la touchent[7]. Pendant qu’ils sont dans cette position, on invoque la déesse[8]. Il s’agit ici d’une invoca-

  1. À Agni « Sviṣṭakṛt », qui parfait les rites (voy. Weber, Ind. Stud., IX, p. 218) ; cf. Hilleb., N. V. O., p. 118. — Pour les autres êtres auxquels sont attribuées des parts (du gros intestin) dans une offrande supplémentaire (Âp., VII, 26, 8 sqq.), voir Schwab, no 104. Les mantras récités et les réponses correspondent assez mal.
  2. On peut leur en ajouter d’autres, sans os. Âp., VII, 24, 11.
  3. Sur l’Iḍâ, voir tout particulièrement Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 289 sqq. et les passages cités à l’Index.
  4. Voir Bergaigne Rel. Véd., I, 323, 325 ; II, 92, 94. Syl. Lévi, Doct., p. 103 sqq.
  5. Ce moment du sacrifice est assez important pour que le Çat. Br. y ait rattaché la fameuse légende, devenue populaire, du déluge (Çat. Br., 1, 8, 12 entier ; Eggeling ad loc., S. B. E., XII). Cf. Weber, Ind. Stud., I, p. 8 sqq. — Muir, Old Sanskrit Texts, I, p. 184, p. 190 sqq. — Mais les autres Brâhmaṇas n’ont, de cette légende, que la fin, qui est seule un article de foi brahmanique. Selon eux, c’est en inventant le rite de l’iḍâ, on créant ainsi la déesse Iḍâ (sa femme, ou sa fille selon les textes), que Manu, le premier homme et le premier sacrifiant a acquis postérité et bétail (voir T. S., 1, 7, 1 et 2, tout entiers 6, 7 ; T. B., 3, 7, 5, 6). En tout cas, elle et son correspondant matériel représentent les bestiaux, en sont toute la force : iḍâ vai paçavo, « iḍâ, c’est les bestiaux ».
  6. Voir Hillebr., N. V. O., p. 124 ; Schwab, Th., p. 148.
  7. Hillebr., p. 125.
  8. La cérémonie se nomme iḍâhvayana, ou bien iḍopahvana, terme qui correspond exactement à l’épiclèse de la messe chrétienne. Le texte est Açv. çr. sû., I, 7, 7, traduit dans Hillebrandt, N. V. O., p. 125 et 126 ; Oldenburg, Rel. d. Ved., p. 290 sqq. Les textes Çâṅkh. çr. sû., I, 10, 1 ;