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En somme, la victime sacrifiée ressemblait aux morts dont l’âme résidait, à la fois, dans l’autre monde et dans le cadavre. Aussi ses restes étaient-ils entourés d’un religieux respect[1] : on leur rendait des honneurs. Le meurtre laissait ainsi derrière lui une matière sacrée, et c’est elle qui, comme nous allons le voir maintenant, servait à développer les effets utiles du sacrifice. On la soumettait pour cela à une double série d’opérations. Ce qui survivait de l’animal était ou attribué tout entier au monde sacré, ou attribué tout entier au monde profane, ou partagé entre l’un et lautre.

L’attribution au monde sacré, divinités protectrices ou démons malfaisants, se réalisait par différents procédés. L’un d’eux consistait à mettre matériellement en contact certaines parties du corps de l’animal et l’autel du dieu ou quelques objets qui lui étaient spécialement consacrés. Dans le ḫaṭṭât hébraïque du jour de Kippour, tel qu’il est décrit dans les premiers versets du chapitre IV du Lévitique[2], le sacrificateur trempe son doigt dans le sang qui lui est présenté : il fait aspersion sept fois devant Iahwe, c’est-à-dire sur le voile, et met un peu de sang sur les cornes de l’autel des parfums, dans l’intérieur du sanctuaire[3]. Le reste était versé au pied de l’autel de l’‘olâ qui était à l’entrée. Dans le ḫaṭṭât ordinaire le prêtre mettait le sang sur les cornes de l’autel de l’‘olâ[4]. Le sang des victimes de l’‘olâ et des shelamim était simplement versé au pied de l’autel[5]. Ailleurs, on en barbouillait la pierre

  1. Hérod., III, 91. Voir les faits connus, dans Frazer, Gold. Bough, II, p. 112 sqq.
  2. Lév. IV, 5, 7 ; 16-19 ; XVII, 41. On s’appuie souvent sur ce dernier passage pour dire que la vertu expiatoire du sacrifice appartient au sang. Mais ce texte signifie simplement que le sang mis sur l’autel représente la vie de la victime consacrée.
  3. Ex. XXX, 19 ; Lév. XVI, 16. Voir surtout Talm. J., Yoma, Misch., V, 4, 6.
  4. Lév. IV, 25, 30 ; VIII, 14 ; IX, 9 ; XVI, 16 : Ézéch. XLIII, 20.
  5. Lév. I, 5 ; IX, 42. — Lév. III, 2.