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LABRADOR ET ANTICOSTI

trop pauvres pour se mettre en mesure de lutter contre la concurrence des pêcheurs étrangers ; mais ils sont aussi les témoins attristés de la diminution rapide d’une autre de leurs ressources les plus précieuses. Je veux parler de la destruction qui se fait des oiseaux de mer et qui est due encore, en bonne partie, au brigandage exercé par les étrangers.

C’est un fait certain que les oiseaux et les œufs, qui autrefois fournissaient à nos pêcheurs la moitié de leur subsistance, disparaissent de plus en plus chaque année.

« Certains planteurs de la côte, disait M. D.-N. Saint-Cyr[1] en 1886, mais surtout des étrangers venus de la Nouvelle-Écosse, de l’État du Maine et de l’île de Terre-Neuve, pillent les œufs des oiseaux de mer, qu’ils vont ensuite vendre dans leur pays. Ces années passées, on a compté jusqu’à une trentaine de goélettes occupées à prendre des chargements d’œufs d’oiseaux sauvages dans les îles du golfe, et, ce qu’il y a de pis, c’est que lorsque ces pillards s’aperçoivent que les œufs sont couvés, ils les cassent et les détruisent, afin que les oiseaux pondent davantage. Alors tous ces œufs frais sont enlevés, et c’est ainsi qu’il s’en détruit des milliers et des milliers tous les ans. » On va même, m’a-t-on dit, jusqu’à tuer les oiseaux à peine éclos, afin de s’emparer de la plume qui tapisse les nids.

Et voici qui va faire juger de l’importance des déprédations que l’on poursuit d’année en année. Il n’y a plus aujourd’hui une seule « mermette » (le guillemot, Uria ringvia, Brunn.) sur des îles où jadis un seul homme pouvait en une journée ramasser jusqu’à dix barriques d’œufs de ces palmipèdes. Les « moniacs » (l’eider ordinaire, Somateria mollissima, Leach.) ont diminué des trois quarts. Autrefois, on pouvait prendre en un jour 300 jeunes « goélands » (du genre Larus) sur des îles où maintenant il faudrait une semaine pour en ramasser le même nombre.

Nos législateurs ne pourraient-ils pas prendre quelques

  1. Rapport d’un voyage fait au Labrador en 1885. (Réponse à une adresse de l’Assemblée législative de Québec — 18 mars 1887.)