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GENS ET CHOSES DU LABRADOR ORIENTAL

Dans tout le Labrador inférieur, il n’y a pas un cheval, ni un mouton. En certains endroits, on possède des poules, qu’on laisse même courir en liberté, quand les chiens de la maison ont été habitués à les voir dès leur bas âge ; mais si l’endroit est tel qu’il puisse y venir des chiens étrangers, il n’y a pas de compagnie d’assurance qui ferait de la vie de ces paisibles volailles l’objet du moindre contrat.

De Natashquan à Blanc-Sablon, c’est à peine s’il y a sept ou huit vaches. Cela fait que l’industrie laitière n’a pas encore enrichi les gens du Labrador, comme elle a fait pour tant de Canadiens d’autres endroits de la Province. Il y a même des Labradoriens qui n’ont jamais vu une seule de ces lourdes, massives et tranquilles citoyennes de nos prairies. À ce propos, oyez cette histoire, que je tiens d’un missionnaire.

Il n’y a pas longtemps, les gens de certain poste virent un matin, tout près de terre, une goélette arrivée durant la nuit et qui, en route pour un endroit encore plus éloigné, avait jeté l’ancre en face du village. La rumeur ne tarda pas à se répandre qu’il y avait à bord de ce vaisseau un animal extraordinaire, que l’on apercevait sur le pont de la goélette. Cette bête-là était énorme ; de sa tête s’élevait deux cornes très longues, et elle lançait vers le rivage des regards menaçants. L’effroi fut grand, et ne cessa pas même lorsque l’on fut informé que le monstre n’était autre qu’une vache. « Un bon jeune homme, avec qui j’ai travaillé à quelque construction, ajoutait le missionnaire, ne me parle jamais de cette vache sans se montrer vivement impressionné. Il voudrait bien voir Québec ; mais la pensée d’y trouver peut-être des vaches éteint son désir.

« J’aime mieux, disait-il, rencontrer deux cents chiens que de rencontrer une seule vache ! » — Voilà un point, sans parler des autres, sur lequel ce jeune homme différait beaucoup d’Ernest Hello, qui lui n’arriva jamais à dominer la peur qu’il avait des chiens !

De l’épouvante peu justifiable qu’éprouva surtout la population la plus jeune de ce hameau, il ne faut pourtant pas in-