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LABRADOR ET ANTICOSTI

Nabésippi ! Les petits zéphyrs qui, de-ci, de-là, folâtraient d’une vague à l’autre sous les yeux bienveillants, quoique à demi fermés déjà, du vieux Phébus fatigué de sa longue course, nous donnaient de temps en temps un léger coup d’aile. Mais, allez donc vous fier à des zéphyrs ! Ça consent bien à soutenir un joli papillon, à se charger du parfum d’une violette, et même à porter au loin la chanson du rossignol… Si vous croyez que ça va mettre du zèle à pousser une goélette !

Aussi, la position devint bientôt embarrassante. Le courant du fleuve nous descendait bien peu à peu, en vue de Goynish (10 milles de Natashquan), où nous devions faire escale ; mais il fallut renoncer à l’espoir d’y arriver avant la nuit profonde. Bientôt la marée montante allait venir nous pousser en sens contraire, et nous empêcher d’atterrir. D’ailleurs on n’entre dans ce port, avec un vaisseau comme le nôtre, qu’à marée haute ou à peu près. Le capitaine décida, en conséquence, que nous allions passer la nuit au large, et à la cape. Cela signifie qu’on abaisse toutes les voiles ou presque toutes, et qu’on laisse dériver le navire maintenu pourtant en certaine direction par le gouvernail. Cette façon de naviguer est fort désagréable, parce qu’elle ne pousse guère en route. Elle n’est pas moins douloureuse pour les cœurs sensibles. En effet le vaisseau, qui n’est plus fixé par la tension des voiles, est la proie de toutes les agitations de la mer ; tangage et roulis prennent alors des proportions incroyables. Et si l’on n’est pas bien endurci dans la carrière de marin, il se produit, dans les régions stomachiques des révolutions, des perturbations, des éruptions qui nuisent considérablement à la tranquillité de l’âme et rendent pour le quart d’heure la vie fort amère.

Telle fut cette nuit du 19 au 20 juillet. Au dehors, c’était bien beau. L’air était doux ; au firmament, scintillaient des milliers d’étoiles ; la surface des eaux s’élevait et se creusait alternativement en longs et réguliers mouvements. Mais lorsqu’on est étendu dans les couchettes de la cabine, ce n’est plus cela ! La poésie que l’on goûtait tout à l’heure, sur le pont, a fait