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LABRADOR ET ANTICOSTI

chapelle pour préparer tout ce qui peut être mis à un service funèbre. Minapish m’y rejoint bientôt ; et comme il est presque bedeau, il m’aide à couvrir l’autel en noir, content de voir ça si beau. Puis, étant le seul chantre présent dans la Mission, il s’offre à chanter le service de sa propre femme. J’accepte les offres de ce veuf tout frais qui, quoique peu âgé, enterrait ce jour-là sa deuxième femme sans aucune émotion. Le voilà donc qui entonne d’une voix éclatante le Rashimoto ranepits (Requiem aeternam). Un chantre, un servant : allons toujours, on est au Labrador !

« Après l’Épître, je craignais que Minapish ne manquât d’haleine, tant il y allait de tout cœur. Je lus donc aussitôt le Graduel et le Dies irae, puis je chantai l’Évangile, le tout sans arrêter ni donner chance au chantre d’intervenir. Nous voilà donc à l’Offertoire. Mais notre choriste, qui voulait tout chanter et à la suite, suivant du doigt dans son livre, me donna cette bonne leçon : omnia secundum ordinem fiant. Pendant que je découvre le calice, il entonne donc à pleins poumons (et à plein nez aussi) le Tshir Jesos Rutshimamino (Dies irae). Très bien, Minapish, tiens bon ! Et moi j’attendrai patiemment.

« Je dis alors au servant de donner l’encensoir à un sauvage pour aller chercher du feu au camp. Jourdain part en se dandinant sur ses jambes croches ; il prend la « boîte à feu » (encensoir) dans ses mains respectueuses, tout comme s’il portait l’ostensoir ; les chaînes traînent par terre et balayent branches et broussailles. Il se dirige vers le camp. En y arrivant, il aperçoit à quelques pas un lièvre. Vif comme l’éclair et comme tout sauvage, il jette là l’encensoir, saisit un bâton et se lance à travers le bois à la poursuite du lièvre ; celui-ci, de son côté, met tout dehors et détale pour la mort ou la vie. Enfin Dieu prend pitié de moi qui supportais bien impatiemment ce retard inexplicable : lancé d’une main sûre, le bâton atteint le lièvre et le tue du coup. Fier de cet exploit, Jourdain fourre dans sa camisole le corps chaud et saignant, revient en courant au camp, emplit l’encensoir de feu ; mais, ne pouvant le porter en ses