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MINGAN — POINTE-AUX-ESQUIMAUX

l’hiver dernier, elle avait été transportée sur une traîne sauvage, d’un campement à l’autre, à cinquante lieues de la mer. Ce n’était donc plus qu’un squelette qu’on avait enroulé dans des morceaux de vieille et sale toile et ficelé aussi serré que possible. De la tête aux hanches, on avait ajouté une peau verte de loup marin ficelée aussi à tour de bras. Les vieilles embarquent sur le bateau, et jettent le cadavre entre deux bancs, la tête en bas, les pieds touchant le bord. Qu’est-ce que cela fait ? ouin shashnipou (elle est morte) ! Vouloir réveiller les regrets et les larmes, inutile avec ces grands enfants. Leurs impressions ne durent pas, et une journée suffit pour dépenser presque tout le chagrin de leur deuil. Que peut-on y faire ? ouin shashnipou ! Tout en jacassant, riant même, Minapish comme les autres, on se hâte, on embarque. Les uns s’accroupissent à côté du cadavre, d’autres s’asseyent au-dessus. Les vieilles s’enveloppent dans leur ouapouillane (couverte blanche en laine, bien nommée ainsi, car il peut s’y « en » abriter des générations… !), et se mettent la pipe courte et noire au bec. Un petit garçon de huit ans portait son costume d’hiver : pour capot, une peau de loup marin poil en dehors, taillée en forme de sac, n’ayant qu’une ouverture pour y passer la tête et le recouvrant du cou aux genoux ; pour coiffure, la peau de la tête d’un jeune caribou, avec les oreilles mobiles, ajustée à sa propre tête et ne laissant voir que bouche, nez et yeux. Vu de l’arrière, on aurait juré voir un animal des bois.

« On hisse la voile, et on part. Pas de larmes ; seule, la mère de la défunte semble attristée. Minapish conduisait le bateau, et semblait tout à son aise.

« Le soleil se couchait quand nous arrivâmes au débarquement (à Mingan) ; le corps est jeté sur le sable, tout comme si c’était un paquet de guenilles. Puis les vieilles l’emportent, en le ballottant, à un camp tout près de là. Et moi je vais demander l’hospitalité au Poste, où les missionnaires sont toujours cordialement reçus.

« Le lendemain matin, je me rends de bonne heure à la