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ÎLE D’ANTICOSTI

D’abord la pêche devint moins productive ; d’autre part, le gouvernement offrait aux Anticostiens de leur donner des emplacements à Hull, bourg voisin d’Ottawa, Ottawa, où fonctionne la machine administrative qui fait mouvoir tout le Canada, Ottawa, le centre de cette mer politique où tant de gens « pêchent en eau trouble » avec assez de succès, vraiment : n’était-ce pas assez tentatif pour des pêcheurs ? Vers cette époque, aussi, un incendie détruisit une dizaine de maisons. Mais, avant tout, il y avait la ligne de conduite inaugurée par ce M. Stockwell. Puisqu’il était propriétaire de l’île, il entendait l’être aussi de tout ce qu’elle portait, y compris les terrains et les maisons des habitants, et chaque emplacitaire devait lui payer $10 de rente par année. Peu favorable à l’exploitation de la pêche, m’a-t-on dit, il voulait que l’on se livrât surtout à l’agriculture, et même il fit venir des gens de l’Angleterre pour travailler sur les terres. Quant aux pêcheurs résidants, ils continuèrent à pêcher, mais en même temps ils cultivèrent, pour obéir à leur propriétaire. Bref, cette situation ne plaisant guère aux gens, et l’avenir s’annonçant assez mal, les Anticostiens firent bon accueil aux propositions gouvernementales, et treize familles émigrèrent dans une même année ; un an après, il partit encore sept familles. Je serais curieux de savoir s’il reste encore à Hull beaucoup des gens qui allèrent s’y établir en cette occasion. Toujours est-il que j’en ai rencontré plusieurs sur la Côte Nord, que le plaisir de contempler tous les jours les édifices du Parlement d’Ottawa n’avait pu charmer assez pour les retenir à l’intérieur des terres. Détachez donc le navigateur de la mer ! Avec des pêcheurs, faites des ouvriers de manufacture ! Ceux-là étaient donc revenus en divers lieux de la Côte Nord, et derechef se livraient à la pêche comme de plus belle. Par exemple, l’Anticosti leur était restée au cœur — comme Ilion aux Troyens établis dans la presqu’île d’Italus — et les larmes leur en venaient aux yeux rien qu’à y penser. L’Anticosti, pour eux, c’était une terre promise ; c’était là que la pêche était bonne ! c’était là que la terre poussait toutes