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ÎLE D’ANTICOSTI

n’y avait pas, sur notre vaisseau, de haubans dans lesquels on pût monter.

Le soir finit par arriver, et avec lui, grâce à la placidité de l’atmosphère, nous vinrent des légions de taons à cheval (de la cavalerie !) et de jolies mouches dont les yeux d’or aux reflets verdâtres étaient d’une grande richesse ; il vint aussi de ces moustiques avec qui M. Lagueux avait eu maille à partir quelques heures auparavant. Il manquait vraiment ce comble à notre infortune ! Les taons et les mouches, en insectes bien élevés, se contentaient de nous envelopper des méandres gracieux de leur vol ; mais les moustiques ! les moustiques de l’Anticosti ! c’est-à-dire des moustiques encore barbares, qui n’ont aucune idée de loi, ni d’égards, ni de réserve quelconque. On connaît assez combien les moustiques civilisés sont encore sujets à caution. Que l’on imagine donc, si on le peut, la sauvage férocité de leurs congénères de l’Anticosti s’acharnant contre trois pauvres Canadiens en détresse sur ce rivage désolé ! La situation fut jugée assez sérieuse, pour que nous recourussions aux armes que nous possédions. M. l’abbé Lagueux et moi étions munis chacun de drogues (antimoustiquaires), préparées l’une à Paris, l’autre à Québec, et nous éprouvâmes leur efficacité, qui était minime ; nous allâmes jusqu’à nous oindre successivement de l’une et de l’autre à la fois. Cela nous procura bien quelque soulagement, et le gros des ennemis reculaient en approchant de cette couche huileuse et fortement aromatisée, dont ruisselaient notre figure et nos mains ; mais il y avait toujours des insectes plus hardis, des foudres de guerre évidemment, qui méprisaient ces obstacles et nous perçaient à l’envi de leurs dards empoisonnés. Dans cette extrémité, je me résolus d’employer les grands moyens. En prévision de circonstances aussi fâcheuses, j’avais apporté un immense voile de mousseline. Je m’enveloppai là-dedans (il paraît que, sans le cigare que j’avais aux lèvres, on m’aurait pris volontiers, affublé de la sorte, pour une première communiante) et j’obtins de cette manière une tranquillité satisfaisante, troublée seulement, de