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DE QUÉBEC À BETSIAMIS

plus agréable de « se bercer » en lisant son journal, près d’un bon feu, que de faire tourner la roue du gouvernail sur le pont de l’Otter.

L’Otter, disons-le pour ceux qui l’ignorent encore, est un grand steamer… en miniature : 223 tonneaux, 110.6 pieds de longueur, 17.9 pieds de largeur. De ses deux mâts, l’un est pourvu de voiles, voiles inactives, voiles paresseuses, voiles âgées peut-être, qui se tiennent volontiers carguées sur le bois qui les supporte, et qui bien rarement, dit-on, se gonflent sous l’effort des brises de notre beau Saint-Laurent. Elles laissent tout l’honneur du travail à la machine, qui paraît tenir à se passer du secours de qui que ce soit pour faire avancer le vaisseau.

Or ce vaisseau, qui n’est pas un poulet, puisqu’il fut un temps, assez lointain, où il s’appelait Margeretha Stevenson (il appartenait alors à la Compagnie Molson, de Montréal, propriétaire des mines de fer magnétique de Moisie ; il a changé de nom et de possesseur vers 1878), ce vaisseau a la coque en fer, et passe pour très solide à la mer : on aurait tort, par exemple, de conclure de là que son assiette reste toujours dans un plan perpétuellement le même. Ah ! il s’en faut ! Le moindre souffle qui d’aventure fait se rider la surface des eaux, lui est un sujet d’émotion, sentiment qui se traduit par une danse plus ou moins désordonnée sur la « plaine liquide ». Quand la mer est mauvaise, notre Otter en profite pour prendre les positions les plus extraordinaires. Les passagers ne trouvent pas ordinairement de leur goût les fantaisistes allures du vieux navire.

Donc nous étions partis — car, puisque j’entreprends de faire un récit de voyage, il importe vraiment que je m’y mette.

Nous tournons la Pointe-Lévis ; nous côtoyons le versant méridional de l’île d’Orléans ; nous passons le long des belles paroisses de Saint-Laurent, de Saint-Jean, de Saint-Michel et d’une foule d’autres dont les noms brillent sur le calendrier du diocèse de Québec — publié et imprimé par Léger Brousseau — d’un éclat beaucoup plus vif que dans ma mémoire.

Le fleuve est tranquille ; le temps est superbe. Un soleil de