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BAIE-DE-LA-TRINITÉ — ÎLETS-CARIBOU

Je l’ai examiné là pendant une couple d’heures, regrettant beaucoup de ne pouvoir l’approcher en raison des glaces, que je ne pouvais passer, étant en petit canot d’une douzaine de pieds : vaisseau dont on se sert en hiver, dans les glaces, pour chasser le phoque, ou loup marin, tel qu’on le nomme ici. En février, la même année, je l’ai vu de nouveau, et plusieurs aussi l’ont vu comme moi. Il faisait des bonds hors de l’eau droit en l’air, la tête montant à une cinquantaine de pieds de haut, quittant à l’eau on ne sait quelle longueur. Il fit quatre sauts de cette manière, montant droit hors de l’eau et se laissant abattre à plat sur l’eau. En mars, nous l’avons vu plusieurs. Enfin, le 14 avril, la dernière fois que je le vis, il paraissait encore dormir sur l’eau dans la même position où je le vis la première fois. Le temps étant beau, calme et doux, très favorable à mon projet, je résolus de l’approcher et de lui décharger quelques balles. Nous partîmes deux canots, lorsque, rendus à 300 verges, les gens montant le canot qui m’accompagnait, pris de peur, retournèrent en arrière. Je l’approchai à une distance de trente pieds, sans qu’il bougeât ; rendu là, l’animal commença à se plonger, la queue la première, jusqu’à ce qu’il ne resta sur l’eau qu’une partie de la tête, c’est-à-dire la mâchoire d’en haut, gueule ouverte d’au moins dix pieds de haut ; la mâchoire d’en bas je ne l’ai point vue. Ce que j’ai trouvé de plus monstrueux et horrible, c’est l’œil qui m’a paru d’une grosseur énorme et d’une malice à faire trembler. Je m’apprêtais à tirer, lorsqu’il prit une position menaçante, et, ne cédant pas un pouce de terrain, se tint ainsi la gueule ouverte, paraissant attendre ce que nous allions faire. Alors, j’ai cru plus prudent de ne pas l’attaquer, n’étant pas équipé pour une pareille chasse. Nous nous sommes éloignés et il est disparu, et n’a plus été revu. La peau était d’une couleur noire, l’écaille paraissant dure ; la queue d’une baleine, plate sur le sens de l’eau.

« C’est le détail que je puis vous donner à ma meilleure connaissance. Veuillez excuser ce griffonnage et cette description, exacte, mais insuffisante… « Pierre-Z. Comeau. »