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J’en coupe sans tarder la longueur d’une brasse
Et la livre à mes gens afin de l’amincir.
Ils vont la polissant ; moi, j’affile tenace
Un des bouts, qu’au feu vif après je fais durcir.
J’enfouis prudemment cette partie insigne
Sous les tas de fumier dont s’encombre le lieu ;
Ensuite je prescris que le sort nous désigne
Ceux qui devront m’aider à planter notre pieu
Dans l’œil du monstre, quand le vaincra le doux somme.
Les quatre élus au sort sont ceux-là justement
Qu’avec moi j’aurais pris ; je suis le cinquième homme.
Au soir rentrent le maître et son bétail gourmand.
Le géant pousse au fond toute la bande grasse,
Et dans la cour ne laisse aucun sujet pelu,
Soit qu’il ait des soupçons, soit qu’un dieu l’ait voulu ;
Puis soulevant le bloc, il le remet en place.
Bientôt assis, il trait ses chèvres, ses brebis,
Comme il convient, et rend les agneaux à leurs mères.
Sitôt qu’il a mis fin à ces préliminaires,
Il saisit, mange encor deux des miens ébaubis.
Moi, tenant de vin pur une écuelle pleine,
Au Cyclope je vais, et dis à ce bourreau :
« Tiens donc, Cyclope, et bois sur cette chair humaine.
Pour savoir quel bon vin contenait mon vaisseau.
Je t’en rapporterais, si par miséricorde
Tu me laissais partir ; mais ta rage est sans frein.
Ô fou ! comment veux-tu que désormais t’aborde
Un des nombreux mortels, puisque ainsi bat ton sein ?

Je dis ; il prend la coupe et boit ; ce fin breuvage
L’égaie, il m’en demande une seconde fois :
« Verse encor de bon cœur, et dis-moi sans ambage