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je les chasserais aussitôt honteusement de ma demeure où ils commettent des actions mauvaises.

Il parla ainsi, et tous les Prétendants se mirent à rire de lui et cessèrent d’être irrités. Et le porcher, traversant la salle, emporta l’arc et le remit aux mains du subtil Odysseus. Et aussitôt il appela la nourrice Eurykléia :

— Tèlémakhos t’ordonne, ô prudente Eurykléia, de fermer les portes solides de la maison. Si quelqu’un des nôtres entend, de la cour, des gémissements ou du tumulte, qu’il y reste et s’occupe tranquillement de son travail.

Il parla ainsi, et sa parole ne fut point vaine, et Eurykléia ferma les portes de la belle demeure. Et Philoitios, sautant dehors, ferma aussi les portes de la cour. Et il y avait, sous le portique, un câble d’écorce de nef à bancs de rameurs, et il en lia les portes. Puis, rentrant dans la salle, il s’assit sur le siége qu’il avait quitté, et il regarda Odysseus. Mais celui-ci, tournant l’arc de tous côtés, examinait çà et là si les vers n’avaient point rongé la corne en l’absence du maître. Et les Prétendants se disaient les uns aux autres en le regardant :

— Certes, celui-ci est un admirateur ou un voleur d’arcs. Peut-être en a-t-il de semblables dans sa demeure, ou veut-il en faire ? Comme ce vagabond plein de mauvais desseins le retourne entre ses mains !

Et l’un de ces jeunes hommes insolents dit aussi :

— Plût aux Dieux que cet arc lui portât malheur, aussi sûrement qu’il ne pourra le tendre !

Ainsi parlaient les Prétendants ; mais le subtil Odysseus, ayant examiné le grand arc, le tendit aussi aisément qu’un homme, habile à jouer de la kithare et à chanter, tend, à l’aide d’une cheville, une nouvelle corde faite de l’intestin tordu d’une brebis. Ce fut ainsi qu’Odysseus, tenant le grand arc, tendit aisément de la main droite le nerf, qui résonna comme le cri de l’hirondelle. Et une amère douleur