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847 ALEXANDRE (Princes anciens, ROME) 848
justices provinciales ; et à plus forte raison, sous un prince si jeune, la responsabilité des actes du pouvoir doit-elle revenir au sage ministre qui guidait son élève dans la voie la plus salutaire au bonheur du peuple. Malheureusement les abus ne se peuvent corriger sans froisser les intérêts ; et parmi ces abus l’un des plus enracinés était le manque de discipline dans l’armée. En voulant la rétablir, Ulpien souleva les prétoriens, qui coururent demander sa mort à Alexandre. L’empereur le couvrit en vain de la pourpre, pour leur faire comprendre qu’attaquer son ministre, c’était l’attaquer lui-même. Pendant trois jours la sédition ensanglanta les rues de Rome ; et enfin Ulpien fut massacré par les révoltés. « Les compagnies prétoriennes, ajoute Dion qui nous apprend ces faits, firent ensuite des plaintes contre moi commue elles en avaient fait contre Ulpien, et m’accusèrent d’avoir établi une discipline trop sévère parmi les troupes de Pannonie. Mais Alexandre, loin d’avoir égard à leurs réclamations, me choisit pour son collègue dans le consulat. Cependant, voyant que son choix irritait les prétoriens, je craignis d’exciter quelque tumulte nouveau, et je m’abstins du séjour de Rome pendant tout le temps que je fus consul (1)[1]. » On voit ainsi combien il fallait à la fois d’adresse et d’énergie pour lutter contre les passions mauvaises qu’avaient favorisées les règnes d’un Caracalla et d’un Élagabale. C’est vers cette époque (de J.-C. 229) que les légions qui occupaient la Mésopotamie mirent à mort leur général Flavius Héracléon, tandis qu’un certain Taurinus, à ce que dit Aurélius Victor, fut proclamé Auguste malgré lui, et s’effraya tellement du dangereux honneur qu’on lui imposait, qu’il alla se précipiter dans l’Euphrate. S’il faut en croire Lampride, une tentative d’usurpation, dont les résultats ne sont pas moins singuliers, s’accomplissait à Rome. Un sénateur, nommé Ovinius Camillus, entreprit de s’élever à l’empire. La conjuration était formée, les preuves irrécusables. Alexandre fit amener Camillus dans son palais, et le remercia de ce qu’il voulait bien se charger d’une partie d’un fardeau qui chaque jour devenait plus pesant ; puis il lui fit revêtir la pourpre et l’emmena au sénat, pour y juger quelques affaires. Ce ne fut qu’après plusieurs jours passés par le malheureux prétendant au milieu des honneurs et de transes mortelles, qu’il obtint la faveur de se retirer à la campagne, sans pouvoir encore comprendre comment celui qu’il avait voulu détrôner s’était contenté d’une si douce vengeance.

Un fait qui n’a peut-être pas été suffisamment étudié explique cette morale indulgente, cet oubli de l’injure, si rare dans l’antiquité. Près d’un siècle devait s’écouler encore avant l’introduction du christianisme dans la politique du gouvernement ; et cependant Alexandre avait appris

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de sa mère à respecter la religion du Christ. Il adorait dans une chapelle domestique, nous dit Lampride, l’image de Jésus-Christ, entre celles d’Apollonius de Tyane, d’Abraham et d’Orphée. Auprès d’un prince né en Asie, le spiritualisme des dogmes chrétiens devait l’emporter sur le polythéisme occidental. Les uns parlaient à l’àme, l’autre ne parlait qu’à l’imagination ; et l’Orient s’est toujours montré dans ses cultes plus extatique que poétique. Dès cette époque on remarque une tendance générale des esprits vers les dogmes orientaux. Les poètes, les littérateurs, les philosophes en sont imbus : cette disposition devait se manifester plus vive encore chez Alexandre, dont les premières années s’étaient écoulées sur les frontières de la Palestine, dont la mère avait fait venir Origène d’Alexandrie à Antioche pour entendre sa parole, dont enfin l’esprit élevé comprenait l’inanité d’un fétichisme, aliment des superstitions de la foule. Aussi savons-nous que si Alexandre ne fut pas chrétien, beaucoup de chrétiens figuraient au nombre de ses officiers ; qu’il prit pour règle de conduite la maxime de l’Évangile : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit ; » que cette belle maxime fut gravée par son ordre sur le fronton de son palais, et qu’il eut souvent la pensée de consacrer un temple à Jésus-Christ (1)[2].

Ce fut vers la neuvième ou dixième année de son règne, d’après un calcul très-probable d’Eckhel (2)[3], qu’Alexandre-Sévère porta la guerre en Asie. Une révolution imprévue s’était accomplie chez les Perses. Artaban, le dernier rejeton de la famille des Arsacides, venait d’être renversé du trône par Ardeschir (3)[4], fils adultérin d’un soldat nommé Sassan ; et, fier de son succès, le Sassanide voulut prouver à ses sujets qu’il était digne de les commander. Chasser les Romains des provinces de l’Asie autrefois soumises aux Perses, c’était se faire légitimer par la victoire : il n’hésita donc pas à entrer en armes dans la Mésopotamie, qu’il ravagea d’un bout à l’autre ; et bientôt il menaça les frontières de la Syrie. Alexandre se plaignit d’abord doucement, et fit quelques efforts pour conserver à la fois la paix et ses provinces ; mais, sur le refus d’Ardeschir d’entrer en accommodement, il quitta Rome, accompagné des vœux et des regrets de tout le peuple, qui voulut le suivre jusqu’à quelques milles des murailles de la ville.

  1. (1) Dion, LXXX.
  2. (1) Christo templum facere voluit. Lampr., ch. xlii. Si Alexandre n’exécuta pas son projet, détourné qu’il en fut par les prêtres du paganisme, nous apprenons de Lampride que les chrétiens accomplissaient publiquement, sous son règne, les cérémonies de leur culte. Il adjugea aux chrétiens, pour en faire une église, un ancien édifice public que leur disputaient des marchands de comestibles, qui voulaient en faire un halle. Voy. ibid., ch. xlviii.
  3. (2) Eckhel se décide pour cette date, contrairement à l’opinion de Le Nain de Tillemont, d’après la médaille d’or citée par Vaillant, médaille frappée en l’honneur du triomphe d’Alexandre dans la douzième année de son règne. Voy. Eckhel, U. N. V., t. VII, p. 274.
  4. (3) Les historiens latins et grecs le nomment Artaxercès.