Page:Hoefer - Biographie, Tome 1.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
811
812
ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE)

lettre du monarque perse, dans laquelle il réclamait lui-même cette liberté, rappelant l’ancienne alliance qui avait autrefois uni Artaxerxès et Philippe ; il se plaignait qu’au lieu de la renouveler, Alexandre avait passé en Asie et dévasté ses » États. Il protestait de n’avoir pris les armes que pour la défense de son pays et du trône de ses pères. Arrien nous a conservé la réponse d’Alexandre, qu’on doit regarder comme un véritable manifeste. L’authenticité n’en peut être douteuse, puisque cette pièce a été transmise par Ptolémée et Aristobule. D’ailleurs, elle ne porte aucune marque de supposition ni d’altération. Elle est écrite du style qui convenait au vainqueur du roi de Perse : « Tes ancêtres, dit Alexandre à Darius, étant venus en Macédoine et dans la Grèce, ravagèrent ce pays, sans pourtant avoir à se plaindre d’aucune injure. Reconnu chef des Grecs, j’ai passé en Asie pour me venger des Perses, auteurs des premières hostilités. Vous avez secouru les Périnthiens, qui avaient offensé mon père. Ochus envoya aussi des troupes dans l’île de Thasos, qui fait partie de mes États. Mon père est mort par le fer des conspirateurs que vous aviez subornés ; vous vous en êtes vantés même dans des lettres écrites pour engager les Grecs à prendre les armes contre moi. Lorsque Bagoas et toi vous eûtes de concert fait mourir Arsès, et que tu fus monté sur le trône injustement et au mépris des lois des Perses, on répandit de l’argent de ta part chez les Lacédémoniens et quelques autres peuples de la Grèce ; aucun cependant ne l’accepta, hormis les premiers. Ainsi tes émissaires n’oublièrent rien pour corrompre mes amis, et troubler la paix que je venais d’établir dans la Grèce. J’ai porté la guerre chez toi, à cause de la haine que tu m’as vouée. Après avoir d’abord vaincu tes généraux et tes satrapes, je viens de triompher de toi-même et de toute ta puissance, et je suis en possession d’un pays que les dieux m’ont donné. Je protège tous tes soldats, qui, échappés de l’action, se réfugient auprès de moi ; ils n’y restent pas malgré eux, ils combattent volontairement sous mes drapeaux. Viens auprès de moi, qui suis le maître de toute l’Asie. Si tu appréhendes quelque mauvais procédé de ma part, envoie de tes amis qui recevront ma parole. Lorsque tu seras arrivé, demande ta mère, ta femme, tes enfants, et quelque autre chose si tu veux ; tout ce que tu pourras désirer te sera accordé. Du reste, si tu me fais une nouvelle députation, que ce soit comme au roi de l’Asie : ne m’écris plus d’égal à égal, mais adresse-moi tes prières comme au maître de tous tes États ; sinon, j’aviserai au moyen de punir une pareille insulte. En cas que tu veuilles encore me disputer l’empire les armes à la main, tu ne m’échapperas pas ; je te poursuivrai partout où tu seras[1]. »

Darius avait déposé à Damas ses richesses, qui furent livrées à Alexandre. Deux députés de Thèbes, l’un d’Athènes et un autre Lacédémonien, auprès du monarque perse, se trouvèrent dans cette ville. Alexandre pardonna aux premiers, par commisération pour le sort de sa patrie ; au second, fils d’Iphicrate, par amour pour Athènes, et en considération de la gloire que son père avait acquise : ce député étant mort en Asie Alexandre fit remettre son corps à sa famille. Il garda quelque temps le troisième, Euthyclès, en prison, parce que les Lacédémoniens lui donnaient alors des sujets de mécontentement ; mais ses succès s’étant accrus, il le mit également en liberté[2]. Cette conduite et les motifs qui la dictèrent sont d’autant plus louables, que ce prince n’avait rien à attendre de la reconnaissance des Grecs.

À l’approche d’Alexandre, Sidon se soumit sans coup férir. Mais Tyr n’imita pas l’exemple de Sidon, sa métropole ; elle ferma ses portes au vainqueur, qui avait demandé d’y entrer pour sacrifier à Hercule. Quinte-Curce prétend que les habitants de cette ville égorgèrent les hérauts macédoniens qui étaient venus leur offrir la paix, et qu’ils jetèrent leurs cadavres dans la mer. Les autres historiens ne parlent pas de cette violation du droit des gens. Alexandre sentait toute l’importance de la possession de Tyr : par là Vik de Chypre et ses vaisseaux tombaient en son pouvoir ; maître de la mer, il coupait toutes les communications de Darius avec les peuples d(la Grèce, et étant alors assuré d’eux, il pouvait sans crainte voler à la conquête de l’Egypte et du reste de l’empire des Perses[3]. En conséquence, il disposa tout pour le siège de la place. Cependant il ne pouvait s’en approcher, à cause du bras de mer qui la séparait du continent. Peut-être apprit-il à Sidon qu’un roi d’Assyrie, Nabuchodonosor, avait réussi dans une pareille entreprise, en comblant cet espace[4] d’environ quatre stades. Alexandre employa aussitôt une partie de son armée à construire une chaussée qui joignit l’île à la terre. Les ruines de Paléotyr lui fournirent des pierres en abondance, et il trouva sur le Liban tout le bois nécessaire. Les Tyriens insultèrent d’abord les travailleurs ; ils leur demandaient si leur roi était plus puissant que Neptune. Mais ils changèrent bientôt de langage quand ils virent que la chaussée touchait déjà presque au rivage. Une tempête survint, et en détruisit une grande partie. Tout fut promptement réparé ; et pour cette fois l’ouvrage fut si bien construit, que le temps n’a fait depuis que le consolider, malgré les efforts des vagues et des hommes. Alexandre plaça sur cette chaussée des tours en bois et des machines de guerre, pour battre les murailles de Tyr. Les Tyriens parvinrent à brûler ces machines à l’aide de leurs vaisseaux, et surtout d’un gros bâtiment appelé Hy-

  1. Arrien, II, 14.
  2. Arrien, II, 15.
  3. Ibid., II, 17.
  4. Diodore de Sicile, XVII, 40 ; Quinte-Curce, IV, 2.