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ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE)

de Cilicie : Arsames, selon Quinte-Curce, en évacuant cette province que Darius lui avait confiée, brûla la ville de Tarse, et dévasta cette contrée[1]. Arrien prétend, au contraire, qu’Alexandre ayant prévenu Arsames, ce général perse abandonna Tarse et toute la Cilicie sans y faire aucun dommage[2]. L’armée macédonienne vint ensuite de Tarse à Anchiale. C’est près de cette dernière ville qu’on voyait encore le tombeau de Sardanapale, avec une épitaphe rapportée par Arrien et par quelques autres écrivains de l’antiquité. Alexandre tomba malade de fatigue à Tarse[3]. Mais les autres historiens s’accordent à dire que, tout couvert de sueur, il se jeta, pour se baigner, dans le Cydnus, rivière très-froide qui traversait cette ville, et qu’aussitôt il fut saisi d’une fièvre violente, accompagnée des symptômes les plus alarmants. Ses soldats le crurent mort, et lui témoignèrent un tendre et vif intérêt. Philippe d’Acarnanie, médecin habile, ranima leur espérance, et présenta à Alexandre une potion qu’il croyait propre à le sauver. En ce moment arrivèrent des dépêches de Parménion, annonçant que Philippe, gagné par l’argent et les promesses de Darius, veut l’empoisonner. D’une main Alexandre tient la lettre, de l’autre la potion, qu’il avale ; puis il donne cette lettre à Philippe, et lui ordonne de la lire, espérant trouver sur son visage quelque indice de ce qui se passait dans son âme. Cet homme fidèle, après avoir lu, montre plus d’indignation que de crainte, et jette devant le lit la lettre et son manteau. Il témoigne ensuite toute l’horreur que l’idée seule d’un pareil parricide lui causait, et finit par guérir Alexandre.

Averti que Darius était campé avec toutes ses forces à Sochos, dans la Comagène, Alexandre se mit en marche, franchit le passage des montagnes de la Cilicie, et marcha près de Myriandre. À la nouvelle que l’armée perse avait abandonné le poste avantageux qu’elle occupait, il fit, pendant la nuit, repasser les montagnes à ses troupes par les Pyles de Syrie, en même temps que les Perses achevaient de défiler aux Pyles Ananiaques ou de Cilicie[4], deux gorges qui servaient de communication entre la Cilicie et les régions situées en deçà de l’Euphrate. Ces gorges n’étaient distantes l’une de l’autre que de deux stathmes[5] ou cinq parasanges[6] ; la dernière était au nord, la première au midi ; par conséquent l’armée perse, comme le dit Arrien, avait à dos les Macédoniens : Alexandre lui avait laissé ce passage ouvert, pour l’attirer dans un endroit où elle ne pût faire usage de toutes ses forces. Diodore ni Plutarque n’entrent dans aucuns détails sur ces marches et ces contre-marches ; et ceux que donne Quinte-Curce ne sont pas fort intelligibles.

Darius s’étant emparé d’Issus, campa le lendemain au delà du Pinare, où Alexandre se disposa à l’attaquer. Il mit son armée en bataille, et en appuya la droite aux montagnes et la gauche à la mer[7], position qui aurait dû empêcher Quinte-Curce d’avancer que la droite de cette armée fut enveloppée par les troupes ennemies[8]. Le combat s’engagea près d’Issus : au premier choc, l’aile gauche des Perses fut mise en déroute. Les Grecs qui étaient à la solde de Darius opposèrent plus de résistance : ils renversèrent d’abord tout ce qui se trouva devant eux ; et la phalange macédonienne manœuvrant sur un terrain inégal fut obligée de se rompre, et ne repoussa qu’avec peine leurs attaques vives et réitérées. À l’aile droite, la cavalerie des Perses attaqua avec beaucoup de vigueur la cavalerie thessalienne, et ne lui céda qu’après avoir vu Darius prendre honteusement la fuite[9]. L’honneur de cette journée appartint à l’habileté et à la valeur d’Alexandre. Il enfonça le premier les mercenaires grecs, et fut blessé lui-même légèrement, non de la main de Darius, comme Charès l’assurait[10], mais dans la foule, sans savoir d’où le trait était parti. Justin prétend que Darius reçut également une blessure ; ce qu’aucun autre historien n’a rapporté.

Après la bataille d’Issus, Alexandre fit élever, sur les bords du Pinare, trois autels consacrés à Jupiter, à Hercule et à Minerve[11]. Quoique ces monuments aient longtemps existé après lui, cependant ils étaient beaucoup moins faits pour perpétuer sa gloire, que la conduite généreuse qu’il tint à l’égard de la famille de Darius, tombée entre ses mains à l’issue du combat. Son entrevue avec cette famille infortunée est célèbre : Sysigambis ayant pris d’abord Héphestion pour le roi, se prosterne aux pieds d’Alexandre, et le prie d’excuser sa méprise. Ce prince la relève aussitôt, en lui disant : « Ma mère, vous ne vous trompez pas, celui-là est un autre Alexandre[12]. » Cette scène si touchante, et la réponse du vainqueur, ne sont rapportées par Arrien que comme une tradition assez constante.

Le roi victorieux ne tarda point à se mettre en marche. Laissant fuir son ennemi au delà de l’Euphrate, il s’avança dans la Coelésyrie, et soumit sans peine cette contrée. Straton, prince d’Arade, le reconnut pour souverain, et lui remit cette île et les villes de Mariamne et de Marthé. Ce fut dans cette dernière que les députés de Darius vinrent trouver Alexandre pour lui demander la liberté de la mère, de la femme et des enfants de ce prince. Ils lui remirent une

  1. Quinte-Curce, III, 4.
  2. Arrien, II, 4.
  3. Ibid., II, 5.
  4. Ibid., II, 6, 7.
  5. Ibid., II, 6.
  6. Xénophon, Exp. Cyr., I, 18.
  7. Arrien, II, 7.
  8. Quinte-Curce, III, 11.
  9. Arrien, II, 10 et 11.
  10. Plutarque, Vit. Alex., p. 29.
  11. Quinte-Curce, 111, 12.
  12. Diodore, XVII, 37.