Page:Hoche, Le faiseur d'hommes et sa formule, Librairie Félux Juven, 1906.djvu/73

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— Est-ce que je sais, moi ?… Nous sommes de pauvres êtres plongés dans la nuit de la plus terrible ignorance… nous ne savons pas confier aux autres ce qui se passe en nous… la plupart des nôtres ne se rendent même pas compte de ce qu’ils pensent… Et puis, voilà : je ne suis pas bien sûr que la douleur n’existe pas pour nous, mais ce dont je suis certain, c’est que nous ne connaissons pas le plaisir, aucun plaisir (il répéta par deux fois, nous ne connaissons aucun plaisir, et sa voix avait pris un accent déchirant). Nous ne sommes pas des êtres comme les autres… nous avons si peu de chose de commun avec ces hommes et ces femmes dont il est question dans vos livres… Mes compagnons ne sentent pas… ne sentent rien… ils ne sont ni gais ni tristes, ni doux ni violents, ils ne se passionnent pour quoi que ce soit, ils existent à peine par eux-mêmes… la vie coule en eux et ils accomplissent des gestes sans savoir… Je vous jure qu’ils ne soupçonnent rien du monde, du vrai monde… Pour eux l’humanité se borne au peu qu’ils en ont vu, et l’univers habitable ne dépasse pas les bords de cette île… Moi, depuis que je lis, depuis que je sais lire, j’ai vu le monde sous un jour nouveau… Votre volume a achevé de