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M. Brillat-Dessaigne eut un grand geste apitoyé.

— Et nous donc ? est-ce que nous le pénétrons, le sens de la vie, et ne disparaissons-nous pas tout entiers, ceux-là mêmes qui laissent de grandes œuvres ou une nombreuse descendance ? Non, croyez-moi, ces naïfs se sont aperçu simplement qu’ils étaient trop heureux, c’est-à-dire trop tranquilles — deux mots homologues, n’est-ce pas ? — et ils voudraient tout à coup souffrir et peiner un peu, voilà tout. L’amour !… ah ! comment leur dire, comment leur faire comprendre que réclamer le droit à l’amour, c’est réclamer celui d’être la dupe volontaire d’une image vocale, d’un mot représentatif d’un certain nombre d’illusions et de mensonges odieux dont beaucoup des nôtres ne se délivrent que par le meurtre ou le suicide !…

Le grand chimiste se tut. Une inexprimable tristesse voilait ses yeux bleus qui, large ouverts, semblèrent fixer, quelques secondes durant, de lointaines images abolies.

Puis il me regarda en souriant de nouveau avec bonté.

— Ne leur dites pas cela, ils ne comprendraient pas.