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LES HOMOSEXUELS

Quand tout le monde fut enfin réuni, le maître de céans disparut dans un salon fermé jusque-là, jeta encore un coup d’œil sur les cadeaux, alluma les bougies, appela d’abord les enfants et celui des invités qui doit accompagner leurs chants sur le piano. Maintenant on ouvre les portes à deux battants et les voix claires des enfants célèbrent cette nuit silencieuse et sacrée du Noël.

Un recueillement profond se lit sur tous les visages, dans maint œil on remarque une larme, même la « longue Émilie », ce confectionneur pour dames, toujours si gai, ne peut maîtriser son émotion. Loin, bien loin, se reportent les souvenirs des uraniens au temps, où ce jour-là était pour eux aussi une fête de famille, quand rien ne faisait prévoir encore ce revirement de leur sort, si contraire à celui de leurs sœurs depuis longtemps mariées ; ce n’est qu’insensiblement que s’est ouvert ce précipice qui les sépara des leurs ; vinrent ensuite les années où ils passaient cette fête, sans trêve ni joie dans un restaurant ou en compagnie « d’un bon livre » dans « une chambre meublée ». Les uns pensent à leurs rêves brisés, à tout ce qu’ils auraient pu conquérir si les vieux préjugés ne s’étaient mis à travers leur chemin,