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LES HOMOSEXUELS

raient-elles pu s’imposer à moi ? Non, il n’y avait pas et il ne pouvait pas y avoir trace d’immoralité dans mes pensées, non plus que dans ces réalités que j’ai moi-même vécues. Aussi bien, tout ce que j’ai ressenti dans le plus profond de mon cœur, tout cela est pour moi la preuve la plus sûre et la plus incontestable que dans l’homosexualité il n’existe aucune trace de ce que l’ignorance et la sottise voudraient lui attribuer. Qu’on considère alors la sexualité, en général, comme une manifestation immorale, qu’on essaie de toucher à l’ordre naturel des choses en traînant dans la boue tout ce qu’il y a de plus sacré, alors seulement on pourra condamner aussi l’amour homosexuel. Je me rends compte maintenant que tout ce qui se passait à cette époque dans mon âme enfantine et ignorante d’elle-même et qu’envahissait pourtant une splendeur inconnue, tout cela ne fut autre chose que le premier éveil de mon cœur. Et, pour cette raison que l’objet de mon premier amour fut un être masculin, cette orientation particulière de la sentimentalité s’est définitivement emparée de moi. Lorsque d’autres hommes, normaux, rencontrent une belle fille dans la rue, involontairement ils tournent la tête, je fais de même pour de beaux adolescents, je les regarde aussi, malgré moi. Si je vais dans le monde, au bal ou ailleurs, il m’arrive d’être frappé inconsciemment par la prestance de quelque jeune inconnu : je constate ensuite que j’ai suivi avec attention tous ses gestes, observé avec quelles femmes il dansait et ainsi de suite.

À quelque temps de là ce premier amour fut remplacé par une passion plus forte que j’éprouvai pour un autre camarade. Celui-là bien que d’un an plus