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LA BELLE VIOLETTE!

prit bien nettement que le monsieur à la pelisse n’était pas le propriétaire de la bourse, un semblant de courage remonta jusqu’à son cerveau.

Puisqu’il ne s’agissait que d’une erreur, tout allait, bien sûr, s’arranger. En conséquence, il essuya ses yeux, raffermit de son mieux sa voix tremblante et se prépara à répondre.

Sans mot dire, le commissaire de police examina attentivement la physionomie de son nouveau client. Évidemment, cette frimousse ouverte et intelligente n’avait rien de commun avec les mines sournoises des apprentis du vice qui défilaient d’ordinaire devant lui. Cependant l’accusation était vraisemblable, plausible, presque accablante. Cette bourse aperçue aux mains de ce jeune mendiant… l’anneau arraché… enfin, on allait voir !…

« Où as-tu pris cet objet ?… commença le vieillard, les yeux fixés sur ceux de Jean, qui ne se baissèrent pas.

— Je ne l’ai pas pris, monsieur, répondit le petit, je vous assure que je ne l’ai pas pris ! Je l’ai trouvé… Je ne suis pas un voleur, monsieur, je vous le jure. Tout le monde le croit, mais je ne sais pas pourquoi ! »

Les larmes lui coupèrent la parole.

« Mais si tu n’es pas un voleur, tu aurais dû remettre cette bourse à un agent, au lieu de la garder ?… Le monsieur qui t’a fait arrêter assure qu’il t’a observé pendant longtemps !

— Oh ! j’ai eu bien tort, c’est vrai… Mais je n’ai pas pensé tout de suite qu’il fallait la rendre. Il me semblait que, l’ayant ramassée à terre, elle était à moi. J’étais si content ! Je courais déjà chez nous pour la porter à maman, quand j’ai réfléchi tout à coup que je ne pouvais pas faire cela… »

La vérité a quelque chose d’irrésistible et de persuasif qui ne s’imite guère à l’âge de Jean.

Malgré l’invraisemblance de ce récit, le commissaire se sentait ébranlé et se disait que :


Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.


Mais, dans les bas-fonds parisiens, l’enfance elle-même est si pervertie, elle ment avec tant d’audace, que le scepticisme devient une vertu nécessaire dans le métier épineux de répresseur public.

« Tu courais chez toi, reprit le vieux monsieur, après un assez long silence où l’on aurait pu entendre le cœur de Jean battre à grands coups sourds. Où est-ce, chez toi ?…

— Rue Croix-Nivert, n° 11, chez maman, madame Robin », débita l’incriminé tout d’un trait.

Le commissaire de police inscrivit le nom et l’adresse :

« Eh bien, mon garçon, conclut-il, on va aller chez toi. On verra ta mère, on causera avec elle, et on se rendra compte de ce que tu es. Si tu es un brave enfant, comme tu m’en as l’air, tu seras rapidement libre, sois tranquille. En attendant, tu resteras ici. »

Effaré par cette solution qu’il ne pouvait prévoir, le pauvre Jean éclata en sanglots :

« Non, monsieur, ah ! non, je vous en prie, qu’on n’aille pas chez nous, gémit-il. Maman est malade ; si elle apprenait qu’on me croit un voleur, elle mourrait… Non, monsieur ! non, je vous en supplie… pas cela !… pas cela !… »

« Qu’arriverait-il à ma pauvre maman, si on venait lui dire ainsi tout à coup qu’on me garde ici en m’accusant d’avoir volé une bourse pleine d’or ? » songeait le petit, au désespoir.

Cette appréhension, dont le commissaire de police ne pouvait deviner toute la délicatesse, parut d’un mauvais augure à celui-ci. Son impression favorable muait en méfiance.

« Pour que l’enfant manifestât une telle peur, il fallait une raison bien sérieuse. La maladie de la mère ?… Hum ! Cela pourrait bien être la fin de la comédie !… »