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JULES VERNE

avoir franchi la cour dont la porte s’ouvrait sur une étroite ruelle, Harry Markel et Corty prirent d’un côté, John Carpenter et Ranyah Cogh de l’autre, estimant que mieux valait se séparer afin de dépister les policemen en redescendant vers le port. Ils avaient rendez-vous à l’endroit où le canot les attendait près de l’appontement avec leurs six camarades, — endroit que le maître d’équipage connaissait bien, car il avait plusieurs fois relâché à Queenstown.

Harry Markel et Corty remontèrent, et firent bien, puisque la rue était barrée par les constables à son extrémité inférieure, là où elle s’amorçait au quai. Déjà nombre d’agents occupaient cette rue au milieu d’une foule grossissante. Hommes et femmes de ce quartier populeux voulaient assister à l’arrestation de ces pirates de l’Halifax qui s’étaient échappés de la prison maritime.

En quelques minutes, Harry Merkel et Corty eurent atteint l’autre bout de la rue, libre de ce côté, mal éclairée d’ailleurs. Puis, ils s’engagèrent, à travers une ruelle tortueuse qui la reliait à une rue parallèle, en redescendant vers le port.

Ils ne passaient pas sans entendre les propos échangés dans cette foule, et, bien qu’il y eût là toute la population flottante d’une ville maritime, ces propos étaient des plus désobligeants pour des malfaiteurs si dignes d’être pendus. Mais ils ne se souciaient guère de l’opinion publique, on ne s’en étonnera point. Ils ne songeaient qu’à éviter la rencontre des constables, sans trop avoir l’air de gens qui s’enfuient, puis à gagner le lieu de rendez-vous.

En sortant de la taverne, Harry Markel et Corty avaient marché isolément à travers le quartier, étant sûrs d’atteindre le quai en continuant de suivre la rue. Arrivés à son extrémité, ils se rejoignirent et coupèrent vers l’appontement.

Ce quai était à peu près désert, vaguement éclairé de quelques becs de gaz. Aucune chaloupe de pêche ne rentrait et ne rentrerait avant deux ou trois heures. Le flot ne commençait point à se faire sentir. Le canot ne risquait donc pas d’être rencontré lorsqu’il traverserait la baie de Cork.

« Par ici, dit Corty, en montrant la gauche, du côté où brillait un feu de port, et, plus loin, sur une hauteur, le phare qui marquait l’entrée de Queenstown.

— Est-ce loin ?… demanda Harry Markel.

— Cinq à six cents pas.

— Mais je n’aperçois ni John Carpenter, ni Ranyah Cogh…

— Peut-être n’ont-ils pu sortir par le bas de la rue pour gagner le quai ?…

— Alors ils auront eu à faire un détour… et vont nous retarder…

— À moins, répondit Corty, qu’ils ne soient déjà à l’appontement…

— Allons », dit Harry Markel.

Et tous deux reprirent leur marche, en ayant soin d’éviter les rares passants qui se dirigeaient vers le quartier toujours empli des rumeurs de la foule aux abords de Blue-Fox.

Une minute après, Harry Markel et son compagnon s’arrêtaient sur le quai.

Les six autres étaient là, étendus dans l’embarcation, qu’ils avaient tenue toujours à flot, même au plus bas de la marée. Aussi pouvait-on facilement y prendre place.

« Vous n’avez vu ni John Carpenter, ni Ranyah Cogh ?… demanda Corty.

— Non, répondit un des matelots, qui se leva en halant sur l’amarre.

— Ils ne peuvent être loin, dit Harry Markel. Restons ici et attendons. »

L’endroit était obscur, et ils ne risquaient point d’être aperçus.

Cinq à six minutes s’écoulèrent. Ni le maître d’équipage, ni le cuisinier ne paraissaient. Cela devenait très inquiétant. Étaient-ils arrêtés déjà ?… On ne pouvait les abandonner, pourtant… D’ailleurs, Harry Markel n’avait