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père m’a nanti au départ, continua-t-il en riant.

— Ajoute que les occasions étaient assez rares sur l’île de Glace, répliqua Henri ; sans quoi tu serais assurément parvenu à revenir la bourse vide… Moi aussi, d’ailleurs, je suis convenablement fourni du nerf de la guerre, ajouta-t-il en ouvrant à son tour son portefeuille et en y jetant un regard. Nous avons là de quoi nous rendre auprès de votre mère, chère Nicole, pourvu que nous parvenions à fréter un moyen quelconque de locomotion.

— Il n’y a que moi qui suis réduite à la mendicité, fit Nicole. Tout ce que je possède au monde est représenté par cette belle robe… »

Et, laissant retomber ses deux bras, elle désignait le vêtement élimé qui drapait avec une grâce modeste sa taille svelte, et dont la triste couleur semblait choisie pour faire ressortir le doux éclat de ses cheveux d’or.

« Et dire qu’elle arrivait encore, en cet état, à donner chaque jour ce qu’elle n’avait pas !… s’écria Henri.

— Oui, oui, nous en avons entendu de belles sur votre compte, mademoiselle Nicole, ajouta Gérard. Nous avons su comment vous vous dépouilliez de tout pour soulager vos compagnons de captivité, comment vous avez travaillé de vos mains aux plus grossiers ouvrages, pour gagner les quelques anas qui devaient procurer un fruit ou un médicament aux malades du camp… pendant que vous mouriez vous-même de faim et de besoin, pauvre petite martyre !…

— Je n’ai rien fait de plus que les autres, dit Nicole, confuse et baissant la tête devant ces éloges. Mais, ajouta-t-elle en jetant les yeux autour d’elle, il me semble être déjà venue dans ce pays… Il ne manquait pas de fermes ici autrefois où nous aurions pu trouver à louer des chevaux ou une carriole… Peut-être, en cherchant bien, découvrirons-nous cc qu’il nous faut.

— Partons donc, fit Henri en soupirant. Adieu, cher Epiornis !

— Adieu, fidèle ami, ajouta Gérard.

— Un moment ! » dit Nicole.

S’agenouillant, elle prit une pincée de cendres sur les restes du géant de l’azur, et, demandant un feuillet de calepin à Henri, elle les y serra soigneusement, écrivant au crayon : Précieuses reliques, sur le papier.

« C’est pour Colette », dit-elle.

Ni l’un ni l’autre de ses compagnons ne songea à sourire de cette action sentimentale.


Les voyageurs s’étaient dirigés vers l’est. Une heure de marche dans un pays désert et dévasté les conduisit à une ferme à demi ruinée qui s’élevait au milieu d’un champ inculte. Leurs appels réitérés firent apparaître une femme maigre et triste qui se montra sur le seuil, un enfant dans les bras. Elle paraissait plongée dans une complète atonie morale et physique, et semblait comprendre à peine les pressantes questions des deux Français. Cependant, elle finit par dire qu’elle pourrait leur procurer une carriole et un guide — sa fille, âgée de treize ans — pourvu qu’ils consentissent à lui en payer la location…

« Nous n’avons plus rien, — nous sommes sans pain… et si vous nous enlevez notre cheval… ajouta-t-elle.

— Vous l’enlever ! se récria Henri. Le ciel nous en préserve, ma chère femme ! Dites votre prix et ce sera le nôtre.

— Je suis née Boer, comme vous, ajouta Nicole. Moi aussi j’ai tout perdu à la guerre.

— Hélas ! dit la pauvre femme, est-ce vrai, demoiselle ? Faut-il que nous ayons tout perdu pour rien !… ajouta-t-elle d’un ton de profond découragement.

— Comment, pour rien ? s’écria Gérard.

— Vous ne savez donc pas la nouvelle ?

— Nous ne savons rien…

— Eh bien, mon bon monsieur, on dit qu’ils ont fait la paix, que la guerre est finie !… Il paraît qu’il faudra être Anglais… On prétend qu’on rebâtira nos fermes et qu’on nous